«Qui est-il donc, celui-ci, pour que même le vent et la mer lui obéissent?» (Mc 4, 34-41)
C’était un beau jour d’été, comme on vient d’en vivre ici. Jésus a enseigné toute la journée au moyen de paraboles. Le soir venu, il invite ses disciples à «passer sur l’autre rive», de l’autre côté de la mer de Galilée. La traversée est mouvementée: la tempête se déchaîne contre la barque et risque de la renverser avec ses occupants. Pendant ce temps, Jésus dort. Les disciples paniqués le réveillent. Il parle aux flots et apaise la tempête avant de leur reprocher leur réaction de peur qu’il présente comme contraire à la foi. Le pouvoir manifesté par Jésus questionne les disciples: «Qui donc est celui-ci pour que même le vent et la mer lui obéissent»? La question porte la réponse, car celui qui a le pouvoir sur la mer et toute la création, c’est Dieu. Pourtant, les disciples n’ont pas encore fini de comprendre.
La tempête, au sens biblique, c’est tout ce qui ralentit notre marche et entrave notre rencontre avec Dieu: le mal, la souffrance, les épreuves, nos fragilités, nos mauvaises habitudes, notre péché. C’est aussi l’état d’âme des croyants lorsqu’ils ou elles affrontent les difficultés de la vie. Mais nous ne devons jamais oublier qu’il est avec nous, celui à qui le vent et la mer obéissent! Même au cœur de la tempête, Dieu n’est pas distrait et Jésus ne dort pas.
Cette traversée dure toute notre vie, car l’autre rive c’est la demeure du Père. Néanmoins, il est possible de déployer dès maintenant notre vie dans le Christ et ainsi traverser nos tempêtes avec confiance, avec Lui. Par le baptême, nous sommes devenus des témoins du Royaume et comme Jésus nous avons autorité sur le mal. La souffrance n’a jamais le dernier mot lorsqu’on vit d’espérance. Cela ne veut pas dire que la vie soit plus facile, mais lorsque mon frère ou ma sœur vit une tempête, j’ai le pouvoir et la responsabilité de devenir la présence de Jésus à ses côtés. Lorsqu’un enfant est malade, je suis en mesure de lui apporter le réconfort de Jésus. Lorsqu’un jeune a perdu le goût à la vie, j’ai la responsabilité de manifester l’empathie de Jésus. Lorsque les droits d’un sans voix sont bafoués, je prolonge la solidarité de Jésus qui cherche à transformer la situation et à dissiper l’injustice. La barque qui nous conduit sur l’autre rive est remplie de passagers solidaires, car nous appartenons tous au Christ, Lui qui traverse avec nous.
Illustration : «La tempête apaisée », Rembrandt, huile sur toile, 1633.
L’œuvre que je vous suggère aujourd’hui appartient à ce dimanche. Rembrandt nous fait plonger dans cet épisode dramatique sur la mer déchaînée de Galilée avec une grande maîtrise artistique. On retrouve le bateau et ses quatorze passagers secoués par les vagues. Il y a les Douze, puis Jésus, deuxième personnage à droite, et l’artiste lui-même, au centre. Ce dernier est le seul personnage qui nous regarde directement, comme s’il nous décrivait la scène en direct, ce qui ajoute une touche personnelle à l’œuvre. À gauche de Jésus, penché au-dessus de l’eau, un des disciples est même en train de vomir, alors que les autres essaient de tenir bon en s'accrochant à la voilure et aux cordages. Quant à Jésus lui-même, alors qu’il dormait paisiblement, symbolisant sa confiance en Dieu, il se fait réveiller par quelques disciples, pris de peur. On voit la main de l’un d’eux qui le touche en appelant à l’aide. L’artiste capture ce moment ultime où la peur se transforme en confiance. On se trouve au paroxysme de la crise. Chacun des visages des disciples décrit une attitude différente : effroi, désespoir, supplication, puis émerveillement, comme si Rembrandt nous faisait plonger dans la diversité des attitudes humaines possibles devant la souffrance, la peur et les tempêtes de la vie, mais aussi dans la capacité à chercher du réconfort et à accueillir le salut.
La lanterne suspendue au-dessus de Jésus illumine son visage, tandis que les vagues et les visages des disciples restent partiellement dans l’ombre. Le blanc qui caractérise les vagues imposantes qui assaillent le devant de la barque crée un contrate de lumière, comme l’ouverture du ciel en haut à gauche qui tranche avec les cieux sombres à droite. Rembrandt joue sur le clair-obscur pour créer de l'effet. Les expressions angoissées des disciples qui portent différents degrés de lumière se combinent pour susciter une réponse viscérale du spectateur. Le jaune qui vient éclairer le visage de certains disciples suscite un peu d’espoir. Plus on observe, plus nous avons l’impression d’être nous aussi sur la barque. Le mât de l’embarcation présente une forme de croix, qui ajoute à l’idée que même dans la tempête, physique ou spirituelle, le Christ demeure présent à ceux qui font appel à Lui. Enfin, Jésus semble en pleine action d’apaiser la tempête. La lumière fait fuir les ténèbres. L’artiste capture ce moment culminant où la tempête est sur le point de s’apaiser et le calme va pouvoir revenir, comme dans nos vies.
En somme, ce tableau de Rembrandt propose une représentation puissante de la foi et de la sérénité face aux tempêtes de la vie, alors que lui-même vit une période difficile. L'oeuvre nous fait vivre l’expérience du passage de la peur à la confiance. On quitte la rive sombre de ce monde, où nous sommes affectés par le mal et les défis de la vie, pour avancer vers l’autre rive, celle où le Christ récapitule toute chose en Lui. Pendant la traversée, nous pouvons compter sur sa présence et celle de son Père qui, même s’ils semblent absents face à nos souffrances, font la traversée avec nous. Le mot de Jésus, «passons sur l’autre rive», à l’origine de l’épisode de ce jour, devient « confiance, avançons vers la lumière »!
Bon dimanche!
Claude