«Il y eut des noces en Galilée» (Jn 2, 1-11)
Jésus est invité à des noces avec sa mère et ses disciples. Alors que la fête bat son plein, on manque de vin. Marie en informe Jésus, dans l’espoir qu’il intervienne discrètement. Sans doute ne veut-elle pas que le plus beau jour de la vie de ces jeunes mariés soit gâché ou que la réputation des parents soit entachée.
Jésus hésite d’abord en disant : «mon heure n’est pas venue». L’heure de Jésus, chez saint Jean, c’est celle où il va être glorifié par son Père. C’est l’heure où le Christ récapitule en lui l’humanité blessée et brisée et accepte de monter sur la Croix pour sceller la Nouvelle Alliance entre Dieu et nous. C’est l’heure du pardon des péchés et de la réconciliation pour qui dit oui au Christ. C’est l’heure où le Père ouvre ses bras pour accueillir son Fils et nous donne par lui, avec lui et en lui, accès à son Royaume. À Cana, cette heure n’est pas encore arrivée, mais les signes commencent à poindre.
À la demande de Marie, sa mère, Jésus se laisse toucher et déranger par les jeunes époux dont la fête va être ruinée s’il n'agit pas. Tout comme il se laisse toucher et déranger par chaque situation humaine que nous pouvons vivre. Il n’y a rien dont nous faisons l’expérience qui n’intéresse pas le Christ. Ce premier signe accompli par Jésus aux noces de Cana est l’annonce de ce que seront toute sa vie et son ministère: un effort pour venir à notre rencontre dans tout ce que nous vivons pour nous révéler que Dieu est présent avec nous. Le Christ nous invite à bâtir une relation durable avec lui et avec son Père. Tout dans la vie de Jésus sera orienté pour nous aider à vivre cette union et cette réconciliation avec soi, avec les autres et avec Dieu. C’est cela la Nouvelle Alliance qui est scellée sur la Croix par la mort et la résurrection du Christ. Tout dans la vie de Jésus en sera un témoignage et une explication, jusqu’à ce que son heure soit venue, et que les disciples puissent enfin comprendre.
Comme à Cana, dire oui au Christ et faire ce qu’il nous dit, c'est entrer dans une relation nouvelle avec Dieu qui apporte dès maintenant une paix intérieure profonde, une joie authentique et une espérance renouvelée. C'est accepter de marcher dans la lumière de son amour, de se laisser transformer par sa grâce et de vivre chaque jour avec la certitude que nous sommes aimés et guidés par un Père céleste bienveillant. C'est aussi s'engager à être des témoins de cet amour dans notre monde, en répandant la bonté, la compassion et la justice autour de nous.
Illustration. « Les Noces de Cana » par Giotto di Bondena, 1305. Fresque ornant la chapelle des Scrovegni, à Padoue, en Italie.
Cette fresque du maître italien Giotto illustre les noces de Cana. Pour le banquet, une table en «L» a été dressée. Influencé par l’art byzantin médiéval, le Christ est assis en bout de table. L’époux et l’épouse ne sont pas assis ensemble. Les hommes encadrent le marié assis au centre du côté gauche. Les femmes nous font face et la mariée occupe la place centrale de la fresque. Debout, de l’autre côté de la table, les serviteurs s’affairent. Les invités se divertissent avec de grandes jarres de vin à portée de main, ainsi que de la nourriture suffisante. Trois personnages se distinguent avec des halos dorés, ce sont Jésus, Marie et un disciple, simple témoin de la scène.
Malgré l’espace qui sépare Jésus et Marie, leurs attitudes les lient l’un à l’autre. Le geste et le mouvement de leur main droite ainsi que leur regard attirent notre attention sur la scène qui se déroule au premier plan à droite. Obéissant à l’ordre de Jésus, une servante verse de l’eau dans l’une des six jarres disposées sur une table basse. La robe de la jeune fille a la même teinte grisâtre que les jarres. Ce détail illustre que si l’eau incolore et insipide est devenue du vin, les vies humaines qui peuvent parfois sembler bien ternes sont appelées elles aussi à être transfigurées par le Christ.
Bien en vue à droite, le maître du repas goûte le vin nouveau. L’homme a des traits épais et lourds qui contrastent avec l’élégance et la finesse habituelles des personnages de Giotto, car, pour le peintre, l’apparence physique est le miroir de l’attitude intérieure. Voilà une manière détournée de mettre en valeur le personnage central: l’épouse. La couleur de ses vêtements est éclatante car elle accepte d’entrer dans la Nouvelle alliance.
Giotto assume ici la Tradition chrétienne qui considère l’épisode des Noces de Cana comme une prophétie annonçant l’union à venir du Christ et de l’Église. Plus que la mariée «historique» de Cana, cette femme est, ici, la figure de l’Église, épouse du Christ. De tous les convives, elle est la seule à regarder le spectateur. La couleur de sa robe et ses motifs brodés rappellent la tunique du Christ et l’on y distingue nettement, sur le devant, la forme d’une croix. Entre ses doigts, l’épouse tient délicatement un peu de nourriture, un geste qui rappelle l’élévation de l’hostie, faisant ainsi allusion à l’eucharistie.
La pièce où se déroule la scène, avec sa tapisserie et sa corniche, ressemble à un décor de théâtre posé devant l’infini du bleu céleste que l’on entrevoit en haut de l’image. Il y a un ici-bas et un là-haut. Pour y accéder, une seule issue: la petite porte obscure qui se trouve derrière le maître du repas. Le regard de Jésus est tourné dans cette direction. Les Noces de Cana annoncent le passage de l’Ancienne à la Nouvelle Alliance, mais pour que nous puissions boire le vin nouveau, le Christ devra d’abord passer par les ténèbres de la mort que la porte symbolise. Un écho du peintre au récit évangélique qui précise que la noce à Cana a lieu «le troisième jour» (Jn 2, 1).
Bon dimanche!
Claude Pigeon