21 Jul
21Jul
«Venez à l’écart dans un endroit désert, et reposez-vous un peu.» (Mc 6, 30-34)

 Ce dimanche nous propose un évangile qui convient bien à l’été. Tout joyeux, les Douze reviennent de leur première mission, heureux de la confiance que Jésus leur a faite, mais fatigués après une longue journée. Devant l’impossibilité de se reposer à cause du va et viens de la foule, Jésus leur propose un temps de repos: «Venez à l’écart…» La tradition chrétienne a retenu cet enseignement comme un appel à toujours vivre le moment présent en compagnie de Dieu, ce qui lui permet d’agir en nous et à travers nous. Après tout, nous sommes à son service, et non l’inverse.

Cependant, le repos des Douze ne durera que le temps d’une traversée en barque. Les foules qui suivent Jésus et ses disciples ont anticipé leur destination. Ils s’assemblent encore une fois pour chercher repos et réconfort auprès du Maître. Jésus ne les renvoie pas et leur offre sa parole et son enseignement, en réponse à leur soif d’espérance, bien qu’il ne néglige pas non plus la faim du ventre le moment venu. Pour nous aussi, les demandes ne cessent jamais d’arriver, mais il faut parfois savoir laisser le Christ prendre lui-même le relais. Les disciples ne peuvent pas prendre sur leurs épaules toutes les misères du monde, puisque le Christ l’a déjà fait une fois pour toutes. 

Chacun est responsable de trouver son équilibre et d’apprendre à ménager sa monture afin de durer dans le temps. Un panneau indicateur n’est pas la destination. L’Église n’est pas le Christ, elle en est le signe. À ses témoins, le premier repos que Jésus propose, c’est du temps avec Lui, pour l’écouter et tout lui confier. Quelle sagesse! Dans un contexte de diminution des ressources humaines chez les responsables en Église (bénévoles, responsables laïques mandatés et prêtres) et de besoins grandissants, on aurait tort de négliger le fragile équilibre entre le besoin de «faire» et celui «d’exister» ou de «vivre» en Dieu. Voilà un rappel précieux, en cette saison estivale. Refaire ses forces en présence du Christ devrait nous aider à mieux percevoir les priorités qui sont les siennes et à nourrir notre espérance. 

Illustration: «Le déjeuner sur l’herbe», huile sur toile d’Édouard Manet (1863), Collection du Musée d’Orsay. 

Plusieurs œuvres de Manet et de Monet (à ne pas confondre) célèbrent l’été, le repos et un certain art de vivre. C’est ce qui les rend agréables à regarder. Mais on finit par oublier que certaines de leurs toiles ont été, en leur temps, source de scandales. 

C’est le cas du «Déjeuner sur l’herbe» qui provoqua moqueries et esclandres dès sa première exposition. La juxtaposition d'une femme nue «ordinaire», regardant le public, au milieu de deux hommes habillés, n’a aucune justification, alors que le reste de la toile fait référence à d’autres œuvres classiques qui elles aussi présentent des corps nus, ceux-là jugés acceptables par la bonne société de l’époque. Ici, la modernité des personnages les rend obscènes, aux yeux de ses contemporains. C’est la réaction que Manet recherche. Il entend bousculer le bon goût des bourgeois qui visitent les expositions en faisant éclater leur hypocrisie: la forme nue serait acceptable dans la peinture académique, mais pas acceptable dans la vraie vie. Il utilise son art pour changer le monde dans lequel il se trouve. 

Dans ce tableau, Manet abandonne les habituels dégradés pour livrer des contrastes brutaux entre ombre et lumière. Aussi, lui est-il alors reproché sa «manie de voir par taches». Les personnages ne semblent pas parfaitement intégrés dans ce décor de sous-bois davantage esquissé que peint, où la perspective est ignorée et la profondeur absente. Avec Le déjeuner sur l'herbe, Manet ne respecte aucune des conventions admises, mais impose une liberté nouvelle par rapport au sujet et aux modes traditionnels de représentation. 

Au premier plan est représenté le contenu d'un pique-nique, sous forme de nature morte, avec des fruits, un pain, des cerises sur un lit de feuilles et un panier de fruits renversé (symbole de luxure) sur les vêtements du modèle, un habit bleu à pois. Une femme nue assise avec désinvolture au milieu du bois, entre deux hommes dandys habillés en costume contemporain, regarde le spectateur avec impudence tandis qu'une autre femme, à peine voilée, se baigne langoureusement. Les quatre personnages s'inscrivent dans un triangle, une constante dans l'art classique, alors que les deux hommes forment un triangle renversé, comme dans les compositions pyramidales de la Renaissance. 

Voici mon lien avec l’évangile de ce dimanche. L’évangile n’est pas qu’une belle catéchèse pour les petits enfants. C’est une puissance qui transforme le monde. C’est une semence révolutionnaire qui appelle à une conversation totale de son être et du rapport entre les humains. La résistance du monde au changement sera toujours aussi grande que la mienne à me convertir. Prendre soin des petits, des pauvres, des marginaux et des exclus ne peut se faire sans déranger ou parfois élever la voix. Les intérêts du monde sont divergents. C’est dans ce contexte de combat perpétuel qui attend les siens que Jésus se préoccupe du bien-être de ses disciples, sans pour autant oublier les besoins de la foule et de la mission. Pour tenir bon, les missionnaires ont besoin de repos, de détente, d’amour et d’amitié. Jésus avait fait scandale bien avant Manet en rendant son enseignement et sa parole proche des gens «ordinaires». 

Bon dimanche! 

Claude Pigeon

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