«L’un des Douze, nommé Judas Iscariote, se rendit chez les grands prêtres…» (Mt 26, 14-25).
En ce temps-là, l’un des Douze, nommé Judas Iscariote, se rendit chez les grands prêtres et leur dit: «Que voulez-vous me donner, si je vous le livre?» Ils lui remirent trente pièces d’argent. Et depuis, Judas cherchait une occasion favorable pour le livrer. Le premier jour de la fête des pains sans levain, les disciples s’approchèrent et dirent à Jésus: «Où veux-tu que nous te fassions les préparatifs pour manger la Pâque?» Il leur dit: «Allez à la ville, chez untel, et dites-lui: “Le Maître te fait dire: Mon temps est proche; c’est chez toi que je veux célébrer la Pâque avec mes disciples.”» Les disciples firent ce que Jésus leur avait prescrit et ils préparèrent la Pâque.
Le soir venu, Jésus se trouvait à table avec les Douze. Pendant le repas, il déclara: «Amen, je vous le dis: l’un de vous va me livrer.» Profondément attristés, ils se mirent à lui demander, chacun son tour: «Serait-ce moi, Seigneur?» Prenant la parole, il dit: «Celui qui s’est servi au plat en même temps que moi, celui-là va me livrer. Le Fils de l’homme s’en va, comme il est écrit à son sujet; mais malheureux celui par qui le Fils de l’homme est livré! Il vaudrait mieux pour lui qu’il ne soit pas né, cet homme-là!» Judas, celui qui le livrait, prit la parole: «Rabbi, serait-ce moi?» Jésus lui répond: «C’est toi-même qui l’as dit!».
Illustration: «La prise du Christ», par Michelangelo Merisi da Caravaggio (1571-1610), huile sur toile peinte en 1602, Galerie nationale d'Irlande, Dublin.
L’évangile de ce jour raconte comment Judas Iscariote a comploté pour trahir le Christ. Une vérité qui fut sans doute assez douloureuse pour le groupe des Douze Apôtres qui voit l’un de ses membres tourner le dos à tous les autres. Mais le plus grand dommage est causé à Jésus qui se voit trahi par quelqu'un qui avait tant reçu de lui. Nous ne saurons jamais ce qui a réellement motivé la trahison de Judas. Le récit suggère que l'argent a pu jouer un rôle, mais on peut imaginer qu'il s'agissait de bien plus que cela: la jalousie, l'ambition, ou encore, et pourquoi pas, le désir de permettre à Jésus de s’expliquer et de se réconcilier avec les chefs religieux.
Quoi qu’il en soit, l'histoire de Judas nous rappelle que nous sommes tous et toutes capables de trahir Jésus, même pour les meilleures raisons du monde. Nous prenons nos distances, chaque fois que nous refusons ses enseignements. Nous lui tournons le dos, chaque fois que nous ne le reconnaissons pas dans l'autre. Nous le trahissons, chaque fois que nous participons en parole, par action ou par omission aux conflits qui nous opposent aux personnes les plus proches de nous ou aux injustices qui divisent notre monde et engendrent la violence. Le tableau que nous propose le peintre italien Caravage capture de manière saisissante le moment exact où Judas retrouve Jésus au Jardin des Oliviers et le trahit par un baiser, ce qui provoque son arrestation immédiate.
Le tableau comporte sept personnages. De gauche à droite, on peut reconnaître: Jean, Jésus, Judas Iscariote, trois soldats (celui qui se trouve le plus à droite est à peine visible à l'arrière) et un homme tenant une lanterne pour éclairer la scène (selon les spécialistes, il s'agirait d'un autoportrait du Caravage). Judas vient d'embrasser Jésus pour l'identifier auprès des soldats. Jésus s'éloigne, blessé et déçu. Son expression est magnifique: il savait que cela arriverait, mais il ne peut s'empêcher d'exprimer sa profonde déception à l'égard de son disciple. À l'extrême gauche, nous voyons saint Jean s'enfuir. Ses bras sont levés, sa bouche est ouverte dans un souffle, son manteau rouge s'envole avant d'être repris par un soldat. La fuite de Jean, terrifié, contraste avec l’attitude des autres personnages. Et pourtant, Jean était le disciple «bien-aimé» de Jésus, autrement dit son préféré. Voilà un autre indice donné par l'artiste que personne n'est à l'abri d'un manque de loyauté envers le Christ ou envers le groupe des Douze. Le reniement de Pierre, la trahison de Judas, la panique de Jean nous sortent de l'isolement de la fragilité de notre foi.
Pour aller encore plus loin en ce sens, il faut réaliser comment le bras métallique hautement poli de l'agent d'arrestation est au centre de la composition et du tableau. Il a été conçu par l'artiste comme un miroir: un miroir d'introspection et d'examen de conscience. L'artiste nous invite peut-être, nous spectateurs, à nous reconnaître dans le comportement de Judas et des soldats, à travers nos propres actes quotidiens de trahison de Jésus. Quelle interpellation, en ce jour qui précède notre entrée dans le Triduum pascal!
Bon Semaine Sainte, au cœur du jubilé de l’espérance!
Claude Pigeon, prêtre