«Quiconque accueille en mon nom un enfant comme celui-ci, c’est moi qu’il accueille» (Mc 9, 30-37)
Aux personnes qui marchent avec Lui vers Jérusalem, Jésus tente de faire comprendre le sens de sa Passion et de sa Résurrection: c’est un don de soi sans réserve pour que les autres vivent. L’enseignement de ce matin commence avec les disciples qui se disputent pour savoir lequel d’entre eux est le plus grand. Nous connaissons tous et toutes des exemples comme celui-là qui rendent malsains et toxiques nos milieux et de vie et de travail. La soif de pouvoir et d’influence étouffe la vie et brise des relations que l’on a parfois mis des années à construire. Au temps de Jésus, chez les Esséniens, que l’on dit avoir influencé Jean-Baptiste et Jésus, le rang tient une place considérable. Chaque année chacun se voyait attribuer une nouvelle place selon son progrès dans l’observance de la Loi.
Aujourd’hui, le Maître renverse cette règle.Jésus enseigne à ses disciples que la vraie grandeur se mesure dans l’humble service, un service qui conduit au don radical de soi. Pour le démontrer, il place un enfant au milieu de la foule. Oublions le caractère sympathique de la scène. Dans le monde antique, l’enfant est au plus bas dans l’ordre social. Il n’a aucun droit, ni même de valeur, tant qu’il reste un enfant, notamment à cause du taux très élevé de mortalité infantile. Or, prenant tout le monde à témoin, Jésus «embrasse» l’enfant. Le Nouveau Testament n'utilise ce verbe que deux fois, pour parler de Jésus touchant des enfants. Alors qu’il n’hésite pas à être rude avec ses disciples, à cause de leur incompréhension et de leurs disputes puériles, Jésus accueille les enfants et se montre plein d’affection pour eux. Quiconque qui, comme Lui, accueillera un enfant, et donc toute autre personne exclue ou rejetée, n’accueille pas seulement le Christ, mais Celui qui l’a envoyé.
Depuis plus de trente ans, peu importe les circonstances entourant l’accueil d’un enfant au baptême, j’ai toujours éprouvé une grande joie à redire aux parents: vous êtes et continuerez toujours d’être la présence de Dieu auprès de votre enfant. Pour toute la communauté, vous devenez aussi une image de Dieu qui prend soin de nous. Cet enfant que Jésus accueille, c’est toi, c’est moi, c’est nous. Quelle responsabilité et quelle mission qui engage les uns envers les autres et nous relie à Dieu.
Illustration. «Le Christ bénissant les enfants», huile sur toile (1537) réalisée par Lucas Cranach l'Ancien (1472-1553). Domaine public, via Wikimedia Commons.
Réalisée et peinte par l’artiste de la Renaissance Lucas Cranach l’Ancien, l’œuvre que je vous propose aujourd’hui représente le Christ avec des enfants. Nous sommes chez Marc, au verset 10, 14: «Laissez venir à moi les petits enfants, et ne les empêchez pas, car le royaume de Dieu est pour ceux qui leur ressemblent». Cet épisode précède celui de ce matin, où Jésus place un enfant seul au milieu de la foule. Au cours de sa vie et de sa carrière, l’artiste Lucas Cranach l’Ancien se lie avec Martin Luther dont il deviendra un ami intime. Proche de la Réforme protestante, il illustrera plusieurs thèmes chers à ce mouvement. Notamment, Jésus et les enfants, dans la lignée des enseignements luthériens de Sola Gratia et Sola Fide, le salut par la grâce et par la foi seule.
En 1922, le tableau a été acheté à Ignacy Dubowski de Volhynie, évêque de Loutsk en Ukraine, pour la collection du château de Wawel à Cracovie. Pillé par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale, il a été découvert plus tard à Vienne et restitué à Wawel en 1968.
Clairement situé au centre de la composition, on aperçoit Jésus vêtu d’une tunique bleu foncé. Il tient un enfant dans ses bras et tend la main vers un autre enfant placé sur un coussin que sa mère lui présente. Autour de Jésus se retrouve un groupe d’une dizaine de mères conduisant également leurs enfants à Jésus pour qu'il les bénisse. Certaines sont vêtues de rouge, évoquant l'amour et la confiance en soi face à Jésus. D'autres portent du noir, signifiant peut-être l'inconnu, le caché, l'invisible, le mystère de la foi qu'elles portent avec leurs enfants. Leur visage est d'alleurs plus lumineux que celui des apôtres, à gauche. Ces derniers semblent relégués au second rang, fidèles à la demande de Jésus: «Ne les empêchez pas…». De fait, en observant ces femmes, on découvre de nombreux gestes de tendresse, et de bénédiction aussi. À travers les visages de ces mamans, l’œuvre nous plonge dans un univers de soin et d’affection. N’a-t-on pas comme l’impression que les attitudes maternelles soulignées ici nous parlent de Jésus et de Celui qui l’a envoyé?
Dans le monde antique, l’enfant est une bénédiction pour la famille, en tant que l’adulte de demain. L’enfance pour elle-même demeure un non-lieu. En ce sens, l’enseignement de Jésus est neuf. Il déclare que le Royaume de Dieu appartient à ceux qui leur ressemblent: ils ne possèdent rien, même pas une place dans la société. Ils dépendent des autres. Leur futur est incertain et ils sont des modèles d’innocence. Jésus voit dans l’enfant le faible par excellence, celui ou celle qui est sans défense, et en même temps disponible et ouvert à la nouveauté de l’avenir. Pour entrer dans le Royaume, il nous faut accepter une remise en cause radicale de soi-même et renoncer à ses propres vues, même parfois celles que l’on a sur Dieu. Qui de mieux qu’une femme, une mère, un enfant peuvent nous faire entrer dans cet acte de conversion perpétuelle?
Bon dimanche!
Claude Pigeon