«Aimez vos ennemis… alors votre récompense sera grande» (Lc 6, 27-38).
C’est le monde à l’envers! On dirait que Jésus exagère: aimer ses ennemis, faire du bien à ceux et celles qui nous haïssent, prier pour les personnes qui nous calomnient et aller jusqu'à présenter l’autre joue lorsqu’on nous a frappés. Lorsque je contemple l’ensemble de la vie de Jésus, je ne pense pas que son enseignement consiste à approuver ou à supporter avec patience la haine, l'insulte ou le mépris. Il invite plutôt, dans un premier temps, à ne pas chercher à se venger ou à se faire justice soi-même. C’est d’ailleurs l’exemple qu’il a donné tout au long de sa vie. Après avoir pris un peu de recul et de distance, il invite ensuite ses disciples à « aimer leurs ennemis », ou plutôt à leur envoyer de l’amour au lieu de les maudire ou de leur faire du tort, ce qui nous rendrait semblables à eux.
L’évangile de ce matin se termine ainsi: «si vous aimez seulement ceux qui vous aiment... c'est trop facile. Tout le monde le fait, même les pécheurs». Jésus invite plutôt à regarder ces personnes qui ne sont pas comme nous, qui pensent autrement, qui vivent d'une autre manière, qui nous agacent, qui nous dérangent ou que nous avons du mal à aimer, et à jeter sur elles un regard neuf: le regard de Dieu. Ce que Jésus nous laisse comme message est empreint d'une profonde sagesse: «Ce que vous voulez que les autres fassent pour vous, faites-le aussi pour eux». Notre motivation, c'est également cette autre promesse qui résonne en finale du texte d’aujourd'hui: «alors votre récompense sera grande, et vous serez les fils du Dieu Très-Haut, car il est bon, lui, pour les ingrats et les méchants».
Dans le contexte mondial actuel, j’aurais envie d’ajouter que la voie proposée par Jésus est plus que jamais d’actualité. Elle constitue même une condition de survie pour notre monde. À mesure que l'histoire humaine avance, à mesure que les moyens de destruction et de vengeance deviennent plus puissants, à mesure que nous laissons se poursuivre le pillage de nos ressources naturelles, le message de l'évangile apparaît comme prophétique. Il faut bien que certaines personnes brisent le cercle infernal de la destruction, en refusant d'entrer dans la spirale de celles qui choisissent la violence et la vengeance. Cette attitude ne s'oppose pas au devoir de se tenir debout pour exiger la justice et pour faire valoir le bon droit, surtout lorsqu'elle est d’abord tournée vers les petits et les pauvres. C'est ce que Jésus a toujours fait.
Illustration: «La ronde des élus» (détail), détrempe sur bois par Fra Angelico (vers 1430-1433), Musée du couvent Saint-Marc de Florence (Italie).
Je vous propose aujourd’hui un détail d'une oeuvre intitulée «Le Jugement dernier», réalisé au XVe siècle par Fra Angelico, dont voici le lien: Fra_Angelico_009.jpg (4096×2008) . L’ensemble de la représentation met en scène plus de 270 personnages avec des couleurs vives et lumineuses, en particulier dans l’évocation du Paradis. Des touches d’or transforment la scène en une grande fête divine. On retrouve au centre le sarcophage du Christ et plusieurs tombeaux vides qui évoquent la résurrection finale et le Jugement dernier. Le regard est attiré vers un ciel lumineux où trône Jésus, entouré d’anges et de saints. Le thème est évident: le Christ ressuscité a vaincu la mort. Il est devenu le premier-né de la multitude qui vient après lui!
En effet, la foi chrétienne propose qu’au jour du jugement, les morts ressuscitent. Les personnes qui auront accueilli le salut dans la personne du Christ et tenté de vivre selon son enseignement recevront la vie éternelle. Les autres, qui auront pris un autre chemin, devront répondre de leurs actions, ou plutôt du bien qu’ils n’auront pas fait. Leur sort relèvera alors de la miséricorde de Dieu.
Mais où iront les élus? Quelle sera la récompense des personnes qui adoptent ce renversement proposé dans les béatitudes ou qui auront rendu le bien pour le mal? Fra Angelico y répond d’une manière poétique bien particulière: elles danseront de joie! Et dire qu’il n’y a pas si longtemps, certains curés et évêques interdisaient la danse, parfois sans grand succès!
Dans la «Ronde des élus», on voit des personnages disposés en cercle, symbolisant ainsi l'unité et la perfection de l'univers divin. L'artiste inclut dans sa vision plusieurs saints et martyrs, représentant la diversité des personnes qui ont atteint le salut. L'utilisation des couleurs douces et des lignes fines crée une atmosphère de sérénité et de révérence. Chaque personnage possède une signification théologique, illustrant les valeurs chrétiennes de foi, d'humilité et de dévotion. En haut, à gauche, une porte laisse jaillir des rayons lumineux: c'est l'entrée du royaume des cieux qui attire les élus et les invite à entrer.
Cette joyeuse farandole cherche à illustrer ce que nous cherchons à vivre sur la terre. Ici, il n’y a pas de danseur solitaire, pas d’individualiste. Jésus nous a enseigné les pas de danse qu’il faut apprendre à exécuter en harmonie avec les autres personnes, ce qui constitue en soi un véritable exercice d’écoute de la Parole de Dieu, d’attention fraternelle et de collaboration. Heureusement qu’il y a l’Esprit-Saint qui nous apprend à suivre le rythme et la mélodie de façon harmonieuse et nous entraîne dans le mouvement de la danse, en communion avec les autres danseurs. Cette chorégraphie commence ici sur terre sur des notes de respect, de justice, de partage, de solidarité, de pardon et de réconciliation. Elle se poursuivra et nous conduira jusqu'à la porte du royaume, d’où jaillissent la lumière et la vie éternelle portées par des airs d’amour, de vie, de joie, de louange et de liberté, puisque la porte c’est le Christ, et le Paradis, Dieu lui-même.
Bon jubilé de l’espérance, vécu de dimanche en dimanche!
Claude Pigeon, prêtre