«Ma royauté n’est pas de ce monde » (Jn 18, 33b-37)
Dans un moment fort du Chemin de la croix qui conduit Jésus vers sa passion et sa résurrection, Pilate lui demande: «Es-tu le Roi des juifs?» La réponse est sans ambigüités: «Mon royaume n'est pas de ce monde; si mon royaume était de ce monde, mes hommes auraient combattu pour que je ne sois pas livré aux Juifs». Le contraste avec la royauté de Pilate est immense. Jésus se présente comme le Roi-Serviteur qui transforme le monde par l’intérieur en confrontant les humains à la Vérité, c’est-à-dire au Dieu vivant et vrai. «Je suis venu dans le monde pour cela: rendre témoignage à la vérité; et tous ceux qui sont du côté de la vérité écoutent ma voix». Étrange roi dont le sceptre est la vérité et la puissance l'amour!
De dimanche en dimanche, nous avons relu au cours de l’année l’évangile de Marc. Nous avons revécu la vie du Christ et de ses apôtres, avec ses joies et ses souffrances. Et sa vérité et son amour des autres nous éclairent. Le Christ est-il plus roi aujourd'hui dans ma vie qu'il ne l'était il y a un an? Règne-t-il dans mon cœur plus qu'avant? L'avons-nous aidé à établir son royaume de justice, d'espoir, de paix et d'amour en commençant à l'intérieur de nous? En apportant la lumière et la vérité dans le monde, Jésus proclame: «Dieu vous aime». Mais cette lumière doit également être partagée pour construire le monde et le rendre meilleur. Lorsqu'elle est accueillie, elle change d'abord nos cœurs puis nous conduit à transformer les structures qui nous emprisonnent tous et toutes, en priorisant les petits et les pauvres. «Venez Divin Messie», allons-nous à nouveau chanter dimanche prochain; nous espérons plus que des lumières de décoration mais la transformation et l'illumination du monde, un cœur à la fois!
Illustration. Croix de chemin. Saint-Athanase (Québec). Photographiée en 2014 par Paul Turcotte (www.patrimoineduquebec.com).
L’œuvre que j’ai choisie afin d’illustrer l’évangile de ce dimanche est une Croix de chemin. Située à Saint-Athanase dans le Bas-Saint-Laurent (Qc), elle serait la seule croix d’origine encore debout dans ce village. Elle compterait parmi les plus belles de la région (classée 2e à un concours tenu en 2016). Cette croix est faite de bois chanfreiné peint en blanc, son ornementation est peinte en rouge et l’axe est orné d’un cœur duquel s’élancent des motifs à rayon. Les extrémités de la croix sont à motif fleurdelysé et elle est entourée d’une décoration à motif volute. De manière exemplaire, la municipalité de St-Athanase, de même que ses voisines, Pohénégamook et Rivière-Bleue, a mis beaucoup d'efforts dans le but de conserver et de protéger ce patrimoine. Un circuit de Croix de chemin est même offert à la population et aux touristes depuis quelques années.
Partout au Québec, il n’est pas rare de voir des Croix de chemin, surtout lorsqu’on parcourt les routes rurales. Elles sont pour la majorité faites de bois, mais parfois de métal ou de granit. Elles demeurent un symbole qui rappelle les origines et la forte appartenance religieuse du peuple québécois à une certaine époque. Par ailleurs, chaque croix porte sa propre histoire locale ou familiale.
Certaines croix sont simplement plantées à la croisée d’un chemin et guident le voyageur. D’autres servent de bornes et marquent la limite du territoire à l’entrée ou à la sortie d’un village. Elles servent alors de point de repère géographique aussi bien que spirituel. Derrière chaque croix se cache souvent une intention ou une histoire, petite ou grande. Certaines sont commémoratives et rappellent aux gens le site d’un événement. C’est le cas de celle du Rang de la Croix, dans mon village natal à Saint-Michel-du-Squatec. Elle commémore la célébration de la première messe célébrée sur le territoire en 1894. Il y a aussi des croix de fondation, qui soulignent la prise de possession d’une nouvelle terre, comme la croix plantée par Jacques Cartier à Gaspé, ou la croix érigée par un nouveau propriétaire sur la terre où il allait s’établir avec sa famille. D’autres sont dites de dévotion publique. Toutes constituent des lieux naturels de rassemblement, comme lors de la prière du chapelet quotidien pendant le mois de mai, dédié à Marie. Certaines servaient de reposoir lors de la procession de la Fête-Dieu. D’autres sacralisent un lieu public, comme le presbytère, le cimetière, un couvent, ou ornent une résidence privée. Enfin, on retrouve les croix votives qui témoignent d’un vœu particulier, lors d’une retraite paroissiale, d’un congrès eucharistique ou en reconnaissance pour une faveur obtenue. Sur le bord des autoroutes, on observe encore aujourd'hui des croix éphémères qui marquent le lieu d’un tragique accident plus ou moins récent qui a fauché une vie.
Les croix de chemin se distinguent selon trois modèles. Le premier propose une croix de chemin simple: un poteau et une traverse (les bras de la croix), avec parfois des éléments décoratifs aux extrémités. Le second s’enrichit généralement d’un ou plusieurs objets symboliques de la passion: la lance, l’éponge, le marteau, les clous, la couronne d’épines, etc. Le troisième propose un calvaire. Il représente le Christ en croix. Il est parfois surmonté d’un édicule. La Vierge et l’apôtre Jean se retrouvent à l’occasion au pied de la croix. Dans mon village natal de Squatec, on retrouve un calvaire de ce type sur le terrain du presbytère. Une niche installée sur la hampe de la croix est également chose assez fréquente autour des croix de chemin. Enfin, certaines croix reposent sur un socle et sont entourées d’une clôture de bois, souvent blanche. Il n’est pas rare qu’une famille entretienne la croix de génération en génération.
Quel lien avec l’évangile qui nous présente un roi dont le royaume n’est pas de ce monde? Sans la présence des chrétiens et des chrétiennes en ce monde, pas de signes du royaume. La symbolique de ces croix du passé, véritable patrimoine culturel, demeure une trace de la présence chrétienne, celle d’hier, d’aujourd’hui et, souhaitons-le, celle de demain. Ce Christ, Roi-Serviteur, que les chrétiens célèbrent est un roi dont la seule puissance est celle de l’amour répandu en nos cœurs par l’Esprit saint. C’est le labeur, les gestes de partage et de solidarité qui se multiplient en son nom qui marquent son royaume. Les croix de chemin n’en sont qu’un fragile rappel, autant qu’une invitation à poursuivre la route et a transformer le monde, comme une étincelle, un sel, un levain!
Bon dimanche!
Claude Pigeon