Le 28 juillet 2024 (17e dimanche du Temps de l’Église, Année B)
-Ce matin, tout commence avec Jésus qui se préoccupe des foules qui le suivent. Ces personnes avaient faim et soif de sa Parole. Elles cherchent des raisons de vivre et d’espérer, car l’aventure humaine n’est facile pour personne, hier comme aujourd’hui. Par son message d’amour de la part de Dieu, Jésus offre de l’espérance, tout en n’oubliant pas nos réalités humaines, comme boire et manger. Il va se servir de la faim du corps pour expliquer qu’il a encore plus à offrir…
-Jésus met ses disciples à l’épreuve en demandant à Philippe: «Où pourrions-nous acheter du pain pour qu’ils aient à manger?» Cette question, il la pose encore aujourd’hui, à nous qui avons placé en Lui notre confiance et demandons son aide pour nous-mêmes et pour les personnes qui nous entourent. Comme le Père, Jésus connaît déjà nos besoins avant que nous les lui présentions dans un acte de confiance. C’est toujours Lui qui prend l’initiative en nous demandant de collaborer avec lui, et non l’inverse, même si nous avons parfois l'impression du contraire...
-Voilà qu’un de ses disciples lui dit : « Il y a là un jeune garçon qui a cinq pains d’orge et deux poissons, mais quelle petite quantité pour tant de monde!» Jésus sait que ce que nous accumulons par nous-mêmes ne suffira jamais à satisfaire nos faims et nos soifs humaines et spirituelles, néanmoins il insiste pour nous faire contribuer avec le peu que nous avons. C’est là que commence le miracle. Jésus mise sur ce que nous sommes et ce que nous possédons. Il respecte notre dignité. Il s’en sert pour faire grandir le projet de Dieu en nous et pour nourrir les hommes et les femmes qui nous entourent, même s'ils ne le savent pas encore…
-Faites-les s’asseoir, répond Jésus. Puis, il prit les pains, et, après avoir rendu grâce, les leur distribua. L'évangéliste Jean ne mentionne même pas l’aide des disciples (il y a pourtant au moins cinq mille hommes). Ce n’est qu’à la fin qu’ils interviennent pour ramasser les morceaux qui restent. C’est Jésus qui fait tout le travail! C’est Lui qui nourrit les foules à partir du peu qui lui a été offert par un jeune garçon. Les disciples arrivent après pour recueillir les fruits de son action. Leçon d'humilité pour l'Église de tous les temps. Avoir beaucoup de ressources n’est pas une garantie de succès, il suffit d'abord que notre peu soit entièrement mis à la disposition du Christ et des foules qui le cherchent, ce qui n'est pas si simple…
-Je remarque aussi que le texte ne dit pas que Jésus multiplie les pains (les sous-titres dans l’évangile ont été ajoutés après). L’auteur inspiré rapporte qu’il les partage, et il y en a eu pour tout le monde. Tout est symbolique ici. Jean cherche d'abord à expliquer à la fois ce qu’est l’Eucharistie, qui est Jésus et ce que sera l’Église à travers les temps. L’enseignement du Christ à travers sa Parole proclamée dans l’assemblée et la distribution le Pain, c’est Jésus lui-même qui s’offre en partageant sa propre vie à ses disciples. L’offrande du jeune homme représente bien l’appel à placer chacune de nos vies et ce qui la rend possible entre les mains du Maître pour qu’il fasse de nous son Corps, son Église, sa présence en ce monde. Chacun et chacune devient alors solidaire des autres puisque nous sommes tous incorporés dans le même Christ.
Illustration: «Une famille éjectée », huile sur toile par Erskine Nicol, artiste écossais (1853). National Gallery of Ireland, Dublin.
Pendant la Grande Famine qui accable l’Irlande entre 1845 et 1852, le Québec accueille nombre de réfugiés qui cherchent ici un avenir meilleur. Notre histoire doit encore beaucoup à l’arrivée de ces immigrants qui ont intégré notre société et y contribuent toujours. L’artiste écossais Erskine Nicol a peint de nombreuses scènes quotidiennes irlandaises, dont celle que j’ai choisie pour illustrer l’évangile de ce dimanche.
Dans «Une famille éjectée», on découvre un jeune ouvrier, entouré de sa famille. Son regard est tourné vers la maison de chaume d’où lui et sa famille viennent d’être expulsés. Sa femme, qui tient un bébé dans ses bras, tourne son visage et lève son menton, donnant l’impression d’implorer son mari lui demandant quoi faire, mais il semble n’avoir aucune solution à offrir. Le grand-père âgé repose sa main sur l’épaule de l’homme dans un geste de soutien, tandis que sa petite-fille regarde avec perplexité.
Deux autres enfants sont étendus dans l’herbe, regardant au loin leur bétail être saisi par l’huissier. La raison de l’expulsion et de la saisie des biens est le non-paiement du loyer, chose commune pendant cette crise. Chasser le signataire du bail, signifie condamner toute sa famille.
La scène est bien composée, les figures soigneusement observées et le paysage rendu avec précision. L'épais ciel couvert fait écho à l’ambiance triste et lourde de la scène. L'emploi des couleurs rouge et orange puis d'une variété de bruns pour habiller la famille et produire de l'ombre sur les berges amplifie le drame humain qui se joue. Par ailleurs, la percée de lumière à gauche pourrait-elle évoquer les vagues d'immigration en Amérique qui vont suivre, ouvrant ainsi la porte à un certain espoir? L'artiste Nicol passa quatre ans en Irlande, à partir de 1846, puis revint chaque été pendant de nombreuses années. La plupart de ses scènes irlandaises sont des vignettes amusantes, bien que parfois cruelles, de la vie irlandaise, comme celle-ci.
La distribution du pain par Jésus est inséparable de toutes les famines humaines. Lorsqu’une assemblée se forme pour célébrer l’eucharistie, ce n’est pas une cantine qui s’ouvre pour nourrir uniquement les personnes présentes. C’est une action où chaque participant devient partie prenante de ce qui se déroule: j’apporte mes deux pains et mes cinq poissons, c’est-à-dire toute ma vie, et je l’offre pour que Jésus s’offre lui-même au Père accompagné de mon offrande. Nous sommes unis à Lui, incorporés à son corps de Ressuscité. Et lorsque le pauvre a faim à côté de moi, croyant ou non, je ne peux que reconnaître en lui un membre du corps du Christ qui souffre. Ma participation à l’eucharistie devient alors inséparable de mes actions au quotidien. Cela n'a rien d'une fuite de la réalité, bien au contraire...
Bon dimanche!
Claude Pigeon