«Celui qui n’est pas contre nous est pour nous» (Mc 9, 38-43.45.47-48
L’un des Douze rapporte à Jésus qu’ils ont vu quelqu’un expulser les démons en son nom sans être de ceux qui les suivent. La première réaction des disciples a été d’empêcher cette personne de faire du bien et de guérir au nom de Jésus. Ils agissent comme des propriétaires du pouvoir divin. Ce réflexe demeure une tentation constante pour l’Église et ses responsables: «comment peuvent-ils faire avancer le Royaume, ceux-là qui ne pensent pas comme nous, qui sont différents de nous et qui en plus ne nous suivent pas?» Les disciples utilisent ici le «nous» en s’appropriant le nom de Jésus.
La réponse de Jésus ne devrait pas nous surprendre. Déjà, il avait invité ses disciples à accueillir le Royaume et sa personne avec un cœur d’enfant, signifiant l’humilité nécessaire pour y accéder. Maintenant, il les exhorte à n'exclure personne et à éviter tout esprit sectaire. Le Royaume, comme le pouvoir divin, ne connaît pas nos limites humaines. L’Église le reconnaît lorsqu’elle se présente comme «signe» ou «instrument» de salut, mais pas comme la «source» du salut, qui n’est jamais ailleurs que dans la personne du Christ. Celui-ci agit en elle, par elle et à travers elle, mais rien ne l’empêche d’agir en dehors d’elle.
Le pouvoir divin, qui inclut celui de chasser les démons, quelles que soient leurs formes (mal, souffrance, pauvreté, injustice, etc.), ne se limite pas au sanctuaire de nos communautés et de nos églises. Tout comme le Royaume dépasse les frontières visibles du christianisme, l’Esprit agit là où il veut, et comme il veut. Le mieux que nous pouvons faire, c’est de nous réjouir que sa puissance puisse surgir à tout moment, là où nous ne sommes même pas toujours en mesure d’aller. Et surtout, n’essayons pas d’en récupérer les fruits, car ils appartiennent au seul Maître de la Vigne qui en dispose selon son bon gré. Notre Dieu n’a pas épuisé sa capacité de surprendre son peuple!
Illustration. «La Création d’Adam» (détail), fresque réalisée par Michel-Ange entre 1508 et 1512, chapelle Sixtine, Rome.
J’attire votre attention sur un détail de l’une des œuvres les plus emblématiques de la Renaissance, «La création d’Adam». Cette fresque de Michel-Ange appartient à l’ornementation du plafond de la chapelle Sixtine, dans les musées du Vatican, à Rome. On observe ici le point ultime où l’index de Dieu (à droite) rejoint presque celui d’Adam (à gauche). L’image est célèbre et riche en symbolisme. On connaît la scène générale où Dieu est représenté comme un vieillard barbu, entouré d’anges et enveloppé d’une draperie rouge, qui évoque une coquille ou un utérus. Il tend son bras vers Adam, son index rejoignant celui de l’homme, mais laissant un espace entre deux, comme si le geste était inachevé ou en train de s’accomplir.
On peut voir dans cet instant capté sur le vif, le moment où Dieu insuffle la vie à Adam, en lui communiquant l’étincelle de sa propre vie divine. Une relation fondamentale est alors établie entre le créateur et sa créature. L’espace peut également être interprété comme la distance qui néanmoins sépare le divin et l’humain, soulignant ainsi que l’humanité est créée à l’image de Dieu, mais reste distincte de lui. La posture détendue d’Adam (non visible ici) se reflète jusque dans sa main relâchée et son doigt fléchi, qui contrastent avec l’énergie et la détermination de Dieu qui se manifestent dans la position de son index tendu et offert: Dieu donne et Adam reçoit. Cela peut suggérer que l’humanité possède le potentiel divin, mais qu’elle doit encore l’attendre pleinement. La création demeure inachevée. Cette scène est non seulement un chef-d’œuvre artistique, mais aussi une profonde réflexion sur la nature de l’humanité et sa relation avec le divin.
Dans l’évangile de ce dimanche, Jésus rappelle à ses disciples qu’ils ne peuvent se prétendre propriétaires du pouvoir divin. Ils en sont les bénéficiaires et les serviteurs, collaborant ainsi à l’avancée du Royaume, par tout le bon et le bien qu’ils peuvent réaliser, sans toutefois l'épuiser. Car le Royaume possède une puissance divine autonome que les disciples, hier et aujourd’hui, n’ont pas le pouvoir de limiter. Un disciple peut chasser les esprits au nom de Jésus et il fait le bien. C’est le Royaume qui avance. Une personne peut simplement vous donner «un verre d’eau à cause de votre appartenance au Christ» et elle ne restera pas sans récompense. C’est aussi le Royaume qui grandit. Quelle leçon d’humilité! Les croyants que nous sommes, comme les chrétiens de toutes confessions, n’avons pas le monopole du Royaume. Plusieurs scènes de l’évangile nous le rappellent. Lorsque nous avons la joie de vivre auprès du Christ, nous devrions nous réjouir que d’autres aussi bénéficient de la présence de l’Esprit du Seigneur, peu importe comment cela se réalise. La hiérarchie des valeurs nouvelles du Royaume est un appel à choisir la vie, le bon, le beau et le bien. C’est aussi une invitation à vivre ensemble avec nos différences, dans la reconnaissance et la paix. Dieu reconnaîtra les siens au dernier jour, avec miséricorde et tendresse, fort heureusement pour chacun et chacune de nous...
Bon dimanche!
Claude Pigeon