24 Mar
24Mar

«Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur». (Jn 12, 20-33)

Jésus arrive à Jérusalem au son des acclamations. La foule en liesse s’enthousiasme. Elle l’accueille en improvisant une procession triomphale, pour ne pas dire royale! Mais la fête sera brève. On entend déjà les murmures des grands prêtres, des scribes et des anciens qui ourdissent leur complot derrière les cris de joie du peuple. Pour Jésus et ses disciples, les événements vont se succéder rapidement. Ce sera d’abord la Dernière Cène, suivie d'une nuit de prière et d’agonie au mont des Oliviers, qui se terminera par une arrestation arrangée. Le lendemain matin, on assistera à deux parodies de jugement, l'une avec le grand prêtre Caïphe et l'autre présidée par Pilate, le préfet de Judée. Le tout se conclura par une condamnation injuste. Pour Jésus, tout se bousculera alors en quelques heures: une dernière traversée douloureuse de Jérusalem avec une croix sur les épaules et une exécution humiliante. Pourtant, c’est ce qui va paver la voie pour que la Vie l’emporte sur la mort au matin de Pâques.

Avec vous, et les chrétiens et chrétiennes du monde entier, j’entreprends cette Semaine sainte en portant dans ma prière toutes les personnes qui souffrent, dans leur corps ou dans leur esprit. Ici, dans nos hôpitaux, nos prisons, nos résidences de personnes âgées, nos écoles, nos milieux de travail, seuls ou seules à la maison, ou ailleurs, en Ukraine, à Gaza, à Haïti, au Soudan, au Yémen, en Équateur, etc. Prions ensemble les uns pour les autres, afin qu’au terme de cette Grande semaine, la puissance d’amour et de vie que porte en elle la résurrection du Christ nous renouvelle en profondeur.

Illustration: Le Christ jaune, huile sur toile peinte par Paul Gauguin (1889). L’œuvre est exposée à la galerie d’art Albright-Knox de Buffalo.

 L’œuvre de Paul Gauguin, que je vous propose en ce dimanche des Rameaux, est intitulée «Le Christ jaune». Je l’ai choisie pour nous rappeler que c’est autour de la croix du Christ, instrument de mort et de salut, que nous vivrons cette Sainte semaine!

Gauguin s’inspire d’une sculpture en bois polychrome de la fin du XVe siècle conservée dans la petite chapelle de Trémalo, située à côté du village de Pont-Aven en Bretagne (France). Il va la transformer en thème à la fois champêtre et religieux. C’est l’utilisation intense de la couleur fétiche de l’artiste, le jaune, et les couleurs automnales, qui frappent d’abord le regard. L'emploi du rouge pour les arbres me rappelle les coquelicots du jour du Souvenir. En comparant le tableau avec la sculpture originale, le Christ de Gauguin semble ici apaisé, voire endormi.

La composition du tableau repose sur la croix. À la verticale, elle sépare l'œuvre en deux. Ses bras plafonnent la toile tandis que le tronc sert de pilier au paysage. Au premier plan, on observe le Christ sur sa croix, ainsi que trois Bretonnes qui se recueillent, reconnaissables par leurs habits et leurs coiffes traditionnelles. Deux d'entre elles nous font face et l’autre n’est vue que partiellement et de dos. La croix du Christ se veut intemporelle et transculturelle. Au second plan, un personnage noir escalade le muret. Les uns contemplent la croix, alors que d'autres continuent leur vie, indifférents.

En arrière-plan, on aperçoit le village de Pont-Aven et la colline Ste-Marguerite. C’est le panorama qu’a le peintre depuis son atelier dans le petit village de Lézaven. Cette structuration de l’espace est cachée par le Christ dont les couleurs sont identiques à celles des champs en arrière-plan. Les arbres orangés, dispersés dans le paysage, reprennent la coloration du bois du haut de la croix, tandis que le muret de pierre répète la couleur des coiffes des Bretonnes et du ciel.

Ces éléments du paysage, qui permettent aux couleurs de circuler dans le tableau, guident le regard du spectateur vers l’arrière-plan de la toile. Dans le haut de l'œuvre, le ciel et la végétation à l’horizon sont d’une couleur froide violacée, couleur complémentaire du jaune.

La toile est très lumineuse, mais l’œil est apaisé par l’utilisation de couleurs complémentaires. Les couleurs employées par Gauguin ne cherchent pas à respecter celles de la réalité. L’artiste déploie ici sa technique du cloisonnisme : l’ensemble est formé par des aplats de couleurs cernées comme on pourrait le voir dans un vitrail ou des estampes japonaises. Son but n’est pas la représentation directe des objets, mais plutôt de s’exprimer, lui, en les traduisant dans un langage particulier, celui des idées. L’objet n’a pas de valeur en soi, c’est sa signification symbolique qui importe. Gauguin ne veut pas représenter la croix du Christ, mais ce qu’elle signifie et, surtout, ce qu’elle représente pour lui.

Le Christ jaune est une image de la souffrance sublimée, auquel Gauguin prête ses propres traits. La souffrance du Christ semble refléter la personnalité torturée de Gauguin et les teintes jaunes, qui sont chères au peintre, suggèrent une dimension autobiographique. Cette idée se confirme dans une autre toile (Autoportrait au Christ jaune, 1889) où Gauguin se positionne sous le bras protecteur de ce Christ jaune qu'il  reproduit derrière lui. L'artiste qui se sent incompris et sacrifié, comme le Christ jaune, trouve sa paix en Bretagne et en Polynésie. La couleur jaune est chaude et rassurante, elle éclaire la toile, comme l'esprit de l'artiste. N'est-ce pas aussi cette paix intérieure que nous recherchons au seuil de cette Semaine sainte!

Bonne entrée dans la Grande semaine conduisant au Triduum de Pâques!

Claude Pigeon

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