01 Sep
01Sep

«C’est du dedans, du cœur de l’homme, que sortent les pensées perverses» (Mc 7, 1-8.14-15.21-23)

Dans le récit de la multiplication des pains proposé il y a quelques semaines, Jésus a annoncé que la table du Père est ouverte à tous. Aujourd'hui, les pharisiens et quelques scribes lui reprochent son peu de souci pour les coutumes juives en regard de la pureté rituelle. Cette question deviendra un enjeu après la résurrection de Jésus, pour les débuts de la vie chrétienne: doit-on maintenir la tradition des anciens qui définit les règles de pureté extérieure? L’évangéliste Marc met ici en scène un Jésus qui oppose aux traditionalistes la citation d’Isaïe 29, 13 : «Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi». Suivre des règles extérieures strictes évite de s’engager ou de se commettre personnellement. Il est si facile d’installer un écran de fumée entre nous et Dieu, ou entre les autres et Dieu. On s'assure ainsi du bon rôle en multipliant des règles que les autres éprouveront de la difficulté à saisir et à suivre.

La vraie pureté, affirme Jésus, concerne le cœur. Les aliments ne font que traverser le corps et ne changent pas la nature humaine. Cependant, ma responsabilité est engagée par ce qui sort de moi, c'est-à-dire par ce qui naît de mon esprit ou de mon cœur. Ce sont mes intentions qui se transforment en actes qui parlent le plus de moi. Elles peuvent faire du mal ou du bien, aux autres comme à moi-même. Comme lorsque je m'arrête à la poutre dans l’œil de mon frère ou de ma sœur, il est facile de dénoncer les souillures extérieures visibles. Se concentrer sur elles nous aide à trouver des raisons et des causes qui ne relèvent pas de nous. Il est bien plus exigeant de prendre ses responsabilités et de nommer ses motivations profondes. Car ce qui vient de moi, personne ne le voit, sauf Dieu. C’est un courage semblable qui donne accès à la table du Seigneur, et Dieu seul en est juge. Dommage pour ceux et celles qui aiment se poser en arbitres ou en juges entre Dieu et ses enfants que nous sommes. Jésus les déjoue encore une fois. En d'autres termes, cette page d'évangile nous libère du regard des autres, met en lumière notre liberté humaine et augmente notre responsabilité!

Illustration. La pesée du cœur. Chap. 30B du Papyrus d'Ani, vers 1 200 avant J.-C. Photographié par le British Museum. Tiré de: Eternal Egypt: Masterworks of Ancient Art from the British Museum by Edna R. Russmann.

Cet épisode évangélique me rappelle la règle d’or qui traverse la plupart des grandes religions: «Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu'on te fasse». Cette éthique de vie était déjà présente dans l’Égypte ancienne, comme le montre l’œuvre que je vous partage aujourd’hui. Il s’agit d’un rouleau de papyrus de plus de 3 200 ans, illustrant le procès de l'âme d’un défunt nommé Ani qui comparaît devant les dieux égyptiens pour faire reconnaître ses droits à la vie éternelle. Ce type d’ouvrages était recouvert de formules funéraires et placé à proximité de la momie du défunt ou contre celle-ci, dans des bandelettes.

Pour les Égyptiens, le cœur contenait la somme de toutes les bonnes actions posées pendant la vie d’une personne. On observe donc Ani, avec son épouse, respectueusement courbés devant une balance à fléau. Le cœur du défunt est posé sur le plateau de gauche. Pour accéder à la vie éternelle, il doit faire le poids face au plateau de droite qui contient une plume d'autruche, symbole de Maât, la déesse de l’harmonie cosmique, de la rectitude et de l’harmonie morales. Si le cœur pèse autant que la plume, c'est que le défunt a vécu selon les règles de la morale et peut accéder à l’au-delà. Si le cœur pèse plus lourd, il a vécu dans le mal: il sera alors avalé par le monstre Ammout, la dévoreuse des âmes impures. Heureusement pour Ani, la balance se retrouve ici en équilibre parfait. Le bon déroulement de la pesée est assuré par Anubis, dieu de l’embaumement. Thot, dieu de l’écriture et scribe des dieux, enregistre le résultat. Au sommet du parchemin, on voit une série de dieux qui agissant comme un tribunal divin. À la suite de ce jugement favorable, Ani pourra être présenté par Horus, le dieu à tête de faucon, au roi de l’au-delà et juge des âmes, Osiris. C'est la prochaine scène du rouleau (non illustrée).

Au palmarès des religions, le Christ a poussé jusqu'au bout cette idée qu’une vie ne se juge pas sur ses fragilités, ses erreurs ni même sur ses mauvaises actions, mais sur le bien qu’on a fait aux autres. Plusieurs maîtres spirituels insistent: le jugement final ne concerne pas le mal qu'on aura fait, mais le bien qu'on aura omis de faire. Cette vision est large et généreuse. Elle permet la conversion à tout moment et ouvre la possibilité de réparer ses torts puisque, ne l’oublions pas, la responsabilité de ses actes demeure. Réconciliation, pénitence et réparation vont de pairs. Pour cela, la vérité en soi doit se faire, comme Jésus y invite sans cesse ses disciples. Si le mal peut facilement sortir du cœur de l’homme, le bien aussi peut en jaillir, et les résultats sont bien meilleurs!

Bon dimanche!

Claude Pigeon

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