25 Feb
25Feb

«Jésus fut transfiguré devant eux». (Mc 9, 2-10)

Un jour, assis sur le Mont Sinaï, en Égypte, j’ai eu la chance d’observer un inoubliable lever de soleil. L’ascension débute au milieu de la nuit, à dos de chameau, avec des Bédouins qui vivent dans les environs. La montée s'avère longue et difficile. Puisqu’il fait nuit, ce n’est qu’à la redescente qu’on réalise combien le sentier en corniche est étroit. Heureusement que l’animal connaît la route. 

Après avoir atteint le sommet, on s’assoit et attend les rayons de l’aube pour percer et éclairer le paysage déchiré et lunaire tandis que l’aube éclaire les sommets. La scène est spectaculaire. Il est difficile de ne pas penser alors à Moïse qui y aurait reçu les dix commandements, selon le Premier Testament. 

Un jour, avant de prendre la route vers Jérusalem, Jésus annonce à ses disciples qu’il doit mourir. Ils ne comprennent pas. Il veut les préparer. Il prend avec lui Pierre, Jacques et Jean, ceux-là mêmes qui seront témoins de son agonie à Gethsémani, et les conduit sur une montagne anonyme où il devient lumière. Son être tout entier s’embrase. Ses vêtements deviennent éblouissants. C’est l’amour du Père qui s'embrase pour son Fils. Gage de résurrection. 

C’est dans la solitude et l’intimité de l’aube, et à l’écart que se produit la transfiguration. Elle survient sur un sommet, dans la paix et le calme de l’aube et de la lumière naissante. C’est à ce moment que perce la voix de Dieu. La Parole, qui a donné naissance au monde, donne un nom à la Parole incarnée : « Celui-ci est mon fils bien-aimé! Écoutez-le ». Confirmation de qui est Jésus et déclaration d’amour. 

En ce dimanche, nous qui poursuivons notre route en allant de montagnes en déserts, et de déserts en montagnes, accueillons ce que le Père nous dit : « Toi aussi tu as été créé à mon image. Tu es mon enfant. Tu as été plongé dans le Christ par le baptême. Tu es un être de lumière. Je marche avec toi sur le chemin. Mon amour pour toi ne passera pas! » 

Illustration: Mont Sainte-Victoire, par Paul Cézanne (huile sur toile, 1895). Crédit d’image : Wikimedia. 

Le Mont Sainte-Victoire est situé à Aix-en-Provence, dans le sud de la France. Paul Cézanne va peindre cette montagne en plus de 30 versions à l’huile et en 45 à l’aquarelle, entre 1870 et 1906. Dans chacune des œuvres, quelque chose change: un élément est ajouté ou retiré, l’angle d’observation diffère (distance ou élévation), une luminosité nouvelle apparaît grâce au choix des couleurs. L’artiste décrit la montagne comme «un beau motif», un prétexte, en vue de transmettre ses émotions. Dans toutes les compositions, la montagne en arrière-plan constitue le point central. Entre la montagne et les observateurs, qu’on imagine directement en face, mais avec un point de vue lointain, s’étend la vallée environnante. On y observe plusieurs formes dispersées, qui ressemblent à des maisons et des arbres dans les lignes vallonnées des collines. Le premier plan se compose de plus d’arbres et ce qui semble être le toit et la structure d’une ferme ou d’une villa nichée entre les arbres. Dans le coin inférieur droit se trouve ce qui est décrit comme un aqueduc romain. 

Cézanne a utilisé la géométrie pour décrire la nature et les différentes couleurs pour représenter la profondeur des objets. Les lignes naturalistes utilisées pour peindre le mont Sainte-Victoire délimitent les formes dans la composition, par exemple, la montagne et les collines du paysage sont fluides et incurvées dans différentes directions. Ceux-ci sont contrastés par les formes géométriques des bâtiments (maisons), plutôt carrées et rectangulaires. Quant à la palette de couleurs, elle se compose de combinaisons de teintes naturelles et neutres, de verts, ocres, bruns et bleus, avec quelques roses et lilas également évidents. Il y a une combinaison de couleurs chaudes et fraîches. Cézanne a tenté d’évoquer des émotions à travers ses œuvres et de «trouver de l’ordre dans ses sensations». Toute la série de Mont Sainte-Victoire incarne la lutte de Cézanne pour mouler la nature dans l’art à travers des formes géométriques et des effets de couleur. 

Alors que les impressionnistes essaient de représenter la nature telle qu’ils la voyaient, Cézanne essaie généralement de transmettre le sens de ce qui se trouve derrière ce que l’œil nu peut voir, tout en demeurant attentif aux changements subtils de la lumière et de l’atmosphère. C’est pourquoi on le qualifie de postimpressionniste. Pour l’avoir peinte et repeinte près au-delà de 75 fois, Paul Cézanne était certainement tombé amoureux de ce paysage ou de l'expérience intérieure qu'il y a vécue. Il tente de représenter la nature éternelle de la scène et de la montagne, plutôt que le caractère éphémère de ce qui change avec les saisons. Au-delà du lieu et du temps, l'artiste nous donne accès à sa montagne au nom prédestiné de Sainte-Victoire, rappel du lieu de rencontre entre le divin et l’humain. 

Bonne continuation de Carême! 

Claude Pigeon

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