Le 26 mai 2024 (La Sainte Trinité, Année B)«Baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit.» (Mt 28, 16-20)
Même les plus belles pages de poésie peinent à décrire la beauté et la force de la passion amoureuse qui peut unir deux êtres humains. Être baptisé, c’est d’être plongé, immergé, submergé dans l’amour de la Sainte Trinité, pour en recevoir la vie. Pas surprenant alors qu'il soit si difficile, voire impossible, de représenter, ne serait-ce qu’une étincelle, de l’amour qui habite au cœur même du mystère divin : un amour qui se donne, se reçoit et se partage. La puissante relation d’amour qui unit le Père et le Fils les conduit à nous partager l’Esprit. Et nous-mêmes, forts de notre nouvelle identité d’enfant de Dieu et bénéficiaires de la promesse de Jésus d’être toujours avec nous, nous sommes poussés et conduits par l’Esprit. C’est l’amour trinitaire qui nous envoie dorénavant faire des disciples et communiquer l’amour qui nous a touchés et transformés.
Voilà qui me rappelle l’histoire de cet enfant qui marchait sur le bord de l’océan. Il jetait à l'eau des étoiles de mer échouées sur le rivage. Un vieillard qui passait par là lui demande ce qu’il faisait. L’enfant lui répond : « Si les étoiles de mer gisent encore sur le sable lorsque le soleil se lève, elles mourront ». Le vieil homme lui répliqua : « C’est ridicule. Vois-tu tous ces kilomètres de plage ? Peu importe combien tu en jettes, cela ne fera pas de différence ». Le garçon prit dans sa main une étoile de mer et la lança le plus loin possible avec toute la force de son bras en disant : « Tout vient de changer pour celle-ci ! » Vivre ma propre vie comme une participation à une réalité plus grande que moi et qui donne du sens à ma vie, voilà comment que je conçois entrer dans le mystère de Dieu. C'est comme plonger dans l'océan pour faire un avec lui, tout en continuant d'être moi-même. C’est un geste rempli de confiance ou, autrement dit, un acte de foi.
Illustration : «Tempête, côtes de Belle-Île», huile sur toile par Claude Monet (1886), conservée au Musée d’Orsay à Paris.
Le tableau que je vous suggère aujourd’hui constitue l’une des œuvres emblématiques de Monet. À l’automne 1886, l'artiste séjourne 74 jours à Belle-Île-en-Mer, la plus grande île bretonne, quasi inconnue. Il va y affronter une nature indomptable et mystérieuse. Il y peint 39 tableaux, cherchant à capturer les variations de lumière et à développer les techniques et effets impressionnistes dans ce paysage sauvage et toujours changeant.
Monet se laisse impressionner par la violence de la tempête où les vagues viennent se briser sur les rochers qui disparaissent sous les eaux violentes. Les flots et l’écume forment devant lui une mer frangée de blanc, qu’il représente par de longs et larges coups de pinceau aux formes courbes, arrondies, en accents circonflexes, en virgules, agitées, mais dominées. La vibration atmosphérique et les variations de lumière sur la mer sont obtenues en recourant à des blancs nuancés de tons bleus et roses. Pour les parties émergentes des falaises, en revanche, l’artiste juxtapose de très fines couches de bruns, rouges et bleus. De loin, elles ont tendance à se confondre et à rendre des nuances de marron, qui évoquent de manière particulièrement suggestive les récifs bretons.
Enfin, l’artiste propose un point de vue en hauteur qui ne dévoile qu’une portion mineure du ciel au-dessus de la mer, qui constitue son sujet principal. En fait, l’horizon créé par la rencontre entre ciel et mer est si haut, qu’il est presque impossible de distinguer l’élément céleste de l’élément aquatique. Cette technique s'inspire des estampes japonaises et correspond à l’esthétique des impressionnistes. Belle-Île a manifestement laissé une empreinte durable sur Monet, et ses œuvres témoignent de sa fascination pour la beauté sauvage de cette région bretonne.
Cette œuvre me rappelle que chercher à entrer dans le mystère de Dieu, c’est accepter d’y plonger pour y être complètement submergé. D’ailleurs, n’est-ce pas ce que réalise le rituel du baptême, cette véritable plongée dans l’eau et dans le cœur de Dieu, où l’on meurt et renaît, au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit? On dirait que le reste de notre vie sert à approfondir ce qui s'est produit en nous à ce moment.
Bonne fête de la Sainte Trinité!
Claude Pigeon