«Celui qui vient à moi n’aura jamais faim, celui qui croit en moi n’aura jamais soif». (Jn 6, 24-35)
Tout de suite après la multiplication des pains, les foules demandent un autre signe. En effet, de nombreux textes bibliques annonçaient que le Messie, tel un nouveau Moïse, renouvellerait, en plus merveilleux encore, le miracle de la manne au désert. C’est comme si la foule lançait un défi à Jésus : «Si tu es vraiment le Messie, prouve-le». Combien de fois avons-nous aussi lancé à Dieu le même défi: «Si tu veux que je croie en toi, donne-moi ceci ou cela»? Comme Jésus se montre patient avec nous!
Jésus accepte le défi, tout en remettant les pendules à l’heure. Il accepte l’image de la manne, il comprend les attentes légitimes, mais il va préciser que celle-ci, qu’on appelait «le pain du ciel», n’était qu’un avant-goût du «pain du ciel, le vrai», c’est-à-dire Jésus lui-même qui offre sa vie pour ses amis. Immédiatement, nous sommes renvoyés, nous qui croyons à la Résurrection de Jésus, à la dernière Cène, alors que Jésus partage le Pain et le Vin en annonçant que c’est son Corps qu’il va livrer, et son Sang qu’il va verser, pour que ses disciples puissent vivre unis à Lui. Car il ajoute que nous devrons refaire ce geste non seulement pour nous souvenir, mais pour le rendre présent au milieu de nous. La vraie manne, le pain du ciel, le Pain de la Vie, c’est une personne: Jésus-Christ lui-même. La manne qui ne manque pas, la multiplication et le partage du pain, c’est la promesse du Christ de toujours être avec nous.
Ne pensons pas que nous sommes bien différents des contemporains de Jésus qui ont vu les signes et n’ont pas compris. Les signes sont nombreux autour de nous, mais il nous arrive aussi de chercher Jésus là où il se dérobe et de le trouver là où il n'est pas. Souvent, nous attendons de lui autre chose que ce qu'il nous offre. Ce qui compte pour Jésus, c’est que notre aventure humaine nous prépare à vivre avec Lui et son Père dans le Royaume des cieux. Sa Présence, rendue réelle dans l’assemblée des chrétiens lorsque 2 ou 3 sont réunis en son nom, dans sa Parole proclamée et expliquée, et dans l’Eucharistie partagée, nous y prépare en nous unissant à Lui et en nous transformant à son image, par la puissance de son Esprit.
Illustration: «Des glaneuses», huile sur toile par Jean-François Millet (1857), Musée d’Orsay, Paris.
Dans l’œuvre que je vous propose ce matin, l'artiste attire notre attention sur une récolte de blé qui a apparemment été généreuse, comme on peut l’observer en arrière-plan sur les charrettes qui ont été bien chargées par le maître et les gens de ferme. En plus des glaneuses présentes au premier plan, Jean-François Millet ajoute dans le ciel une nuée d'oiseaux, prêts eux aussi à picorer les grains oubliés.
Le glanage est connu dans la Bible comme une pratique incluse dans la loi de Moïse. Lorsqu’un agriculteur récoltait les produits de son champ, il devait permettre aux pauvres de ramasser ce que les moissonneurs avaient laissé derrière eux. Il ne devait pas moissonner complètement la lisière de son champ ou ramasser les raisins ou les olives qui restaient. Les gerbes de blé oubliées par inadvertance ne devaient pas être ramassées. C’était une disposition pleine d’amour en faveur des pauvres, des résidents étrangers, des orphelins et des veuves qui pouvaient ainsi éviter de mendier, en contrepartie d’un effort de cueillette qui assurait la dignité du pauvre.
Réputé pour son sujet réaliste, Jean-François Millet a été ému par l’injustice sociale qui sévit en son temps. En exposant sur ses toiles les paysans et les ouvriers agricoles, leur vie simple de même que leur pauvreté, Millet dévoile aussi la dignité de la vie rurale française. En ce sens, il effraiera la bourgeoisie. Alors que les critiques de la droite dénoncent dans ce tableau les prémices d’une révolution à venir, ceux de la gauche y voient le symbole du peuple rural appauvri par le Second Empire.
Le glanage continue d’exister dans plusieurs pays d’Europe, sous différentes formes depuis le Moyen Âge. Cette pratique est aujourd’hui remise au goût du jour, notamment en Belgique et par certains acteurs du monde agricole. Il permet de diminuer les pertes alimentaires tout en offrant aux glaneurs des produits locaux, frais et de saison. C’est également une opportunité pour les producteurs de valoriser leurs activités et de créer du lien social avec les participants. Ici aussi, certains groupes de partage alimentaire ou des cuisines collectives perpétuent cette distribution de la nourriture glanée aux pauvres et aux affamés, ce qui peut inclure la collecte de nourriture des supermarchés à la fin de la journée qui serait autrement jetée.
Le Christ se présente comme le «Pain de vie, le Vrai». Cela ne nous relève pas de nos responsabilités pour nourrir nos frères et sœurs qui ont aussi faim et soif dans leur corps. La Loi de Moïse avait prévu une manière de nourrir les petits et les pauvres. Jésus s’identifie à eux. Les glaneuses de Millet nous questionnent à savoir comment nous participons à nourrir nos frères et nos sœurs dans le besoin, en attendant de consommer le banquet préparé dans les cieux, pour ceux et celles qui auront été généreux en ce monde qui passe.
Bon dimanche!
Claude Pigeon