06 Oct
06Oct

«Ce que Dieu a uni que l’homme ne le sépare pas» (Mc 10, 2-16)

Comme à leur habitude, les pharisiens tendent un piège à Jésus: «un homme peut-il renvoyer sa femme?» Chez les Juifs, seul l’homme pouvait répudier sa femme. Il pouvait lui rendre sa liberté et, du coup, retrouver la sienne. Dans ce contexte, on peut s’imaginer que la loi ne protégeait pas les femmes. Jésus va répondre d’une manière qui nous éclaire encore aujourd’hui. Si Moïse a dû ajouter une exception à la Loi, c’est à cause de la dureté du cœur de l’homme, explique-t-il. Mais cette exception est devenue une injustice, car elle ignore le droit des femmes. Pourtant, dans le texte de ce matin, Jésus évoque les cas où la femme renvoie son mari. En fait, cette possibilité n’existait pas selon la Loi juive, mais seulement selon le droit romain. Le texte de Marc nous enseigne donc que Jésus est conscient qu’il faut s’adapter à la vie réelle des chrétiens et des chrétiennes.

Pour Jésus, le projet de Dieu, qui crée la femme égale à l’homme, n’a pas changé. L'homme et la femme sont appelés à vivre ensemble heureux et égaux. Néanmoins, le cœur humain peut parfois se montrer dur, créer des injustices et l’amour se brise. Parfois aussi, il y a des blessures psychologiques que l’on porte depuis longtemps. Il y a aussi des manques de maturité, ou des déséquilibres, qui font que même si tout commence avec les meilleures intentions, on n’a tout simplement pas ce qu’il faut pour qu’une relation à deux réussisse. Il est important de le dire, car parfois, on fait porter des sentiments de culpabilité à des personnes qui ne le méritent pas et qui souffrent de situations qu’ils ou elles n’ont pas choisies ou provoquées. 

À une époque où il est de bon ton d’excuser les infidélités conjugales et de manquer de respect envers le sacrement du mariage, les paroles de Jésus demeurent d’actualité. Un couple heureux et épanoui, qui réussit à surmonter les défis et les tempêtes, c’est la plus belle image de l’Alliance entre Dieu et son peuple. Jésus ne juge pas pour autant notre nature humaine faite de réussites et d’échecs. Alors qu’il faut tout faire pour créer des conditions gagnantes pour les couples et les familles, nous avons aussi une responsabilité envers ceux qui traversent des tempêtes ou sont victimes d’échecs.

Des peines d’amour ou d’amitié, nous en avons probablement tous et toutes vécu. Cela fait mal. Peut-être même que face à certaines situations d’injustice ou de violence, vous vous êtes dit dans le secret de votre cœur: «cette situation doit cesser», même s’il appartient à chacun de faire ses choix dans la vie. Ma lecture de l’Évangile ce matin, c’est qu’à tous les couples qui traversent une tempête, font face à un échec, et qui ont dû recommencer à vivre en suivant un autre chemin, ou sont en train de reconstruire leur vie avec une autre personne, pour leur bien-être et celui de leurs enfants, le Seigneur dit: «je connais ta souffrance. Tu n’es pas seul. Avance avec confiance».

Illustration. «La valse», sculpture de Camille Claudel (1864-1943), réalisée entre 1883 et 1901. Plusieurs exemplaires sont conservés au musée Rodin, à Paris. 

La sculpture que je vous propose ce matin est une pièce majeure de l’œuvre de Camille Claudel. En soi, il s’agit d’une autobiographie de l’artiste, mettant en scène son amour et sa folle passion pour son maître et amant le sculpteur Auguste Rodin. À 19 ans, Camille Claudel devient l’élève et la muse de Rodin. Elle partage son atelier, son travail et ses activités pendant plus d’une quinzaine d’années. Leur relation sera à la fois passionnée et tumultueuse. La carrière de Camille Claudel fut intense et fulgurante, mais brisée par un internement psychiatrique et une mort quasi anonyme.

L'œuvre originale en plâtre représentait un couple de danseurs de valse, nus, amoureusement et érotiquement enlacés dans leur passion, entraînés par leur élan, la danseuse étant suspendue à son cavalier, à la limite du point de rupture de son équilibre. Les critiques furent nombreuses. L'écrivain Jules Renard écrit: «le couple semble vouloir se coucher et finir la danse par l'amour». En réponse, Camille drape la danseuse à mi-corps, pour une version sensuelle moins érotique.

La nudité partielle des danseurs les met hors de toute temporalité et les tire vers l’universel. En ce sens, l’artiste s’inscrit ici dans le courant symboliste. Le tournoiement des valseurs et l’étreinte du couple traduisent l’idée de la danse avec sensualité. La diagonale des corps souligne le déséquilibre, et la jupe amplifie le mouvement en spirale des figures. De cette manière, le pas suivant est déjà suggéré: l’artiste montre ainsi la rapidité de la valse, entraînant le couple dans un tourbillon qui semble ne jamais s’arrêter. Malgré les résistances originales, Camille Claudel obtiendra avec La Valse la reconnaissance de nombre de ses contemporains: « Un haut et large esprit a seul pu concevoir cette matérialisation de l’invisible», écrit Léon Daudet.

Cette sculpture de Camille Claudel met en scène la réalité complexe et instable de l’amour, dont elle a goûté l’ivresse et la douleur. L’amour n’est-il pas souvent représenté comme une danse entre la fragilité et la passion? Ici, l’artiste met en scène la puissance et de la fragilité de l’amour, jusqu’à ce point de bascule où tout peut arriver: tomber seul et se perdre soi-même, se briser à deux ou encore se relever plus fort ensemble.

Dans l’évangile de ce matin, Jésus parle de l'égalité de la femme avec l’homme qui doit se manifester en toutes circonstances. L'idéal évangélique est sans cesse devant nous comme un appel au dépassement, même si, fragiles et limités, nous devons parfois admettre nos erreurs et nos échecs. Ceux-ci entraînent souvent des blessures et de la souffrance. Si le Christ n'est pas d’abord venu pour les bien portants, nous devons tourner notre regard vers ceux et celles qui souffrent et les aider à se relever et créer des conditions gagnantes pour qu'une fois relevés, ils et elles puissent poursuivre leur marche ou leur danse, avec nous. Le destin tragique de Camille Claudel illustre tristement nos échecs humains. Avec «La Valse», elle matérialise pour nous le difficile équilibre entre fragilité et passion au cœur de nos amitiés, de nos amours et de nos passions. Et le Christ, qui sait tout de nous, nous accueille avec ce fardeau de notre humanité, et nous relève.

Bon dimanche! 

Claude Pigeon

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