03 Mar
03Mar

«Cessez de faire de la maison de mon Père une maison de commerce». (Jn 2, 13-25) 

D'abord, un mot sur les deux premières lectures de ce dimanche afin de mieux situer mon propos sur l’Évangile et sur l’œuvre picturale que je désire partager avec vous. Dans la première (cf. Ex 20, 1-17), Moïse reçoit les Tables de la Loi. Jésus va les résumer en une seule demande, son testament spirituel en quelque sorte : « Aimez-vous les uns les autres comme moi je vous ai aimés ». C’est la Loi nouvelle, la Loi de l’Amour.

La deuxième lecture évoque le Messie crucifié. Par sa mort-résurrection (les deux sont inséparables), la Croix est devenue un autre signe de l’Amour du Père, qui accepte que son Fils donne sa vie pour nous. Signe aussi de l’Amour du Fils qui sacrifie sa vie pour ses amis.es. La Loi de l’Amour prend tout son sens au pied de la Croix.

Enfin, l’Évangile nous conduit au Temple de Jérusalem. Jésus réagit fortement contre le trafic qui souille ce lieu. La maison de son Père n’est pas destinée au commerce. Tout comme nos relations avec Dieu ne se négocient pas. On ne peut pas lui offrir ceci ou cela pour qu’il nous donne ce que nous lui demandons en retour. En purifiant le culte qui s’effectue au temple, Jésus veut nous aider à retrouver la vraie signification de ce lieu. Le sanctuaire, c’est la demeure de Dieu, sa présence au cœur de l’humanité. Il faut donc chasser de ce lieu tout ce qui est impur.

Mais depuis le vendredi de la Croix, suivi du matin de Pâques, nous sommes devenus, ensemble, son Corps, son Église. Nous avons aussi été transformés en Temple de l’Esprit. Nous sommes les membres et lui la Tête et le Pasteur de ce Corps qui est le sien. Nous sommes désormais le sanctuaire et le signe que le Christ donne à l'humanité de sa présence et de son amour. Lorsque deux ou trois sont réunis en son nom, il est là au milieu d'eux. Chaque rassemblement de chrétiens.nes manifeste sa présence et son action. L'eucharistie en particulier, que l'Église célèbre et qui fait l'Église. Cette dernière est le signe et l’instrument du salut offert à tout homme, toute femme, tout enfant qui a besoin d’entendre qu’il ou elle est aimé par Dieu. C’est notre mission et notre responsabilité de rendre présent le Christ et de prendre soin les uns des autres.

Illustration: Theodore Rombouts, Le Christ chassant les marchands du Temple, vers 1628-1636, huile sur toile conservée au Musée Royal des Beaux-Arts, Anvers.

Theodore Rombouts (1597-1636) est un peintre qui a vécu à Anvers, dans les Pays-Bas espagnols. À l’instar de nombreux collègues à son époque, il passe un certain temps en Italie pour parfaire son art. Des documents historiques montrent qu’il était à Rome en 1620. Avec beaucoup d’autres, il a trouvé son inspiration dans l’œuvre du Caravage, grand maître italien du baroque, qu’il va étudier et copier. Son œuvre est constituée de peintures de genre, c’est-à-dire des scènes de la vie quotidienne mettant en vedette des personnages anonymes. Il réalise également des scènes religieuses, populaires lors de son passage à Rome et qui délient les cordons de la bourse des commanditaires, une fois rentré chez lui, comme celle que je vous propose ici. 

Rombouts a peint « Le Christ chassant les marchands du Temple » entre 1628 et 1636, après son séjour à Rome et de retour son pays natal, où il devient un concurrent de Rubens, grand maître déjà bien installé dans les Flandres. L’histoire du Christ qui expulse les changeurs d’argent du temple a souvent été représentée par les artistes-peintres, mais l'interprétation fournie par Rombouts est frappante.

D’abord, Rombouts exécute ses thèmes avec une réalité prononcée. Il joue sur les éclairages, les ombres, les clairs-obscurs, qu’il met en relief avec ses choix de couleurs et la composition de l’œuvre. Sa mise en scène est toujours très soignée et riche. Ici, par exemple, l’arrière-plan à colonnes donne un effet d’ombres. Cet arrière-plan est renforcé par le nombre important de personnages dans des poses plus dramatiques les unes que les autres. Le jeu des regards et leur direction sont très réalistes. Rombouts ajoute une palette importante de couleur comme le violet que porte le Christ et introduit une lumière dont on ne peut voir la provenance. Il revêt également un drapé rouge, ce qui augmente l’intensité de la scène en lien avec le texte évangélique qu’elle illustre. Jésus affirme que si ce temple est détruit, il pourra le rebâtir en trois jours. Il parlait bien sûr de lui-même, de sa mort et de sa résurrection.

 Curieusement, l'attention du spectateur n’est pas d’abord concentrée sur Jésus, mais sur l’un des changeurs, un jeune homme anonyme au visage délicat et lumineux. Ses vêtements – un manteau bleu et un pantalon ocre – attirent aussi l’œil. Lorsqu’on suit le regard de ce personnage central, il nous conduit au Christ.

Pour ma part, cette œuvre m’invite à comprendre l’évangile de ce matin comme un appel à la conversion. À travers les marchands expulsés, c’est aux responsables du Temple, qui les y ont installés pour l’enrichir, que le Christ s’adresse. Ce n’est pas le Temple matériel qu’il dénonce, c’est la relation mercantile que les marchands et les changeurs de monnaie y ont introduite. C'est le dialogue que j'imagine entre le Christ et le jeune homme peints par Rombouts. Il est anachronique, mais il me plaît. NOUS sommes le Corps du Christ et le Temple de l’Esprit par le baptême, c’est ma relation à Dieu qui est interpellée ici. Je ne marchande pas l’Amour de Dieu, je le reçois gracieusement, je suis invité à lui rendre en retour et, surtout, à le partager autour de nous gratuitement. Elle vient peut-être de là, la lumière sur le visage du jeune homme dont on ne trouve pas la source dans cette oeuvre... 

Bonne continuation de Carême! 

Claude Pigeon

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