«Va, vends ce que tu as et donne-le aux pauvres, puis viens suis-moi!» (Mc 10, 17-27)
Dans l’évangile de ce matin, un homme fortuné, qui a sans doute déjà été touché par la personne et le message de Jésus, se jette à ses genoux et lui demande: «que dois-je faire pour avoir la vie éternelle?» Celui-ci, observateur fidèle de la Loi depuis sa jeunesse, reçoit comme réponse de Jésus qu’une seule chose, essentielle, lui manque encore: «Va, vends tout ce que tu as et donne-le aux pauvres. Puis, viens, suis-moi!»
On dirait un récit de vocation de disciple ou même d’apôtre qui tourne court. L’homme n’est pas prêt à tout laisser sur le champ pour suivre Jésus. Qui le serait d’ailleurs? À moins d'avoir une vocation particulière à la pauvreté évangélique, comme saint François d’Assise. Cependant, on ne sait pas ce qui s’est passé par la suite, sinon que l’homme est reparti triste. Peut-être qu’après un moment de réflexion, il a tout vendu pour suivre Jésus? Ou encore a-t-il passé le reste de sa vie à faire fructifier sa fortune et ses ressources pour prendre soin des plus pauvres? Jésus provoque, propose, mais n’impose jamais. Et il est toujours temps de le rejoindre pour marcher à sa suite.
En méditant ce texte, je me suis demandé si le détachement des richesses ne constituait pas ici un exemple qui pourrait être remplacé par d’autres réalités qui motivent nos décisions et orientent notre vie, ou bien l’encombrent. Ce pourrait être la recherche d’un titre honorifique, de plus d’influence ou de pouvoir, ou encore une dépendance, une amitié malsaine, un comportement abusif, la difficulté d’accueillir des personnes dites différentes dans sa communauté, le refus de prendre la parole par solidarité ou de faire éclater une injustice, etc. L’appel de Jésus concerne la liberté du cœur et la relation qui nous unit à Lui et aux autres.
La réponse à l’invitation de Jésus n’est pas simple. Elle prend ici la forme d’une question ouverte: «Qu’est-ce qui occupe la plus grande place dans mon cœur et dans ma vie? Est-ce que c’est en lien avec l’Évangile? Est-ce que ça m’ouvre aux autres? Est-ce que ça m’aide à diriger ma vie en accord avec les valeurs du Royaume qui sont la justice, la solidarité, la paix, la joie, le pardon, la réconciliation et l’amour?» Si la réponse est non, il y a peut-être du ménage à faire dans mon cœur, pour vivre heureux aujourd’hui et avec les autres. Parce que la vie éternelle, elle est déjà commencée depuis mon baptême! Ce que Jésus veut, c’est que le chemin qui nous conduit pour de bon au Royaume de son Père soit sans encombre ni obstacle. L’évangile nous dit à propos de l’homme riche que «Jésus, posant son regard sur lui, se mit à l’aimer». Clairement, par cette rencontre, un lent travail de conversion venait de commencer…
Illustration. «Le Christ et le jeune homme riche», huile sur toile réalisée par Heinrich Hofmann en 1889. Œuvre exposée à l’église Riverside, New York.
«Le Christ et le jeune homme riche» est une œuvre majeure du peintre allemand Heinrich Hofmann (1824-1911). L’artiste capture ce moment précis où Jésus invite un homme qui cherche à obtenir la vie éternelle en héritage à faire un pas de plus dans sa quête spirituelle et l’hésitation tout humaine qui s’en suit. Ce tableau se distingue par son agencement dynamique, son utilisation expressive de la lumière et sa profondeur émotionnelle. L’œuvre met l’accent sur les thèmes du sacrifice, du défi, de l’engagement spirituel et de la difficulté de donner la priorité à la richesse spirituelle plutôt qu’à la richesse matérielle. L’artiste met en évidence les exigences radicales de la vie de disciple et les barrières que la richesse, ou toute autre réalité accaparante peuvent créer.
La composition attire l’œil du spectateur sur l’interaction entre Jésus et son interlocuteur. La scène est éclairée par une lumière douce et naturelle, qui crée un sentiment de sérénité et de contemplation. L’artiste utilise une palette de tons chauds et terreux pour rehausser le réalisme et l’intensité émotionnelle du moment. Le jeu d’ombre et de lumière ajoute de la profondeur et de la dimension, mettant en valeur la figure et l'expression des protagonistes. L’utilisation de la lumière symbolise l’éclairage de la sagesse divine, rehaussant la signification spirituelle de l’événement.
Jésus est représenté avec une expression calme et compatissante, utilisant ses mains pour inviter l’homme à tourner son regard vers les pauvres à gauche du tableau. Le jeune homme, en revanche, est représenté avec un regard de chagrin et d’hésitation, qui se détourne de Jésus pour fixer le sol, reflétant sa lutte intérieure. Hofmann capture l’intensité du moment, et nous invite à sympathiser avec les réactions des personnages et à réfléchir sur les thèmes du sacrifice et de l’engagement spirituel. L'évangéliste Matthieu est le seul à relever qu'il s'agissait d'un homme jeune. Luc et Marc n'en font pas mention. Hofmann conserve ce détail matthéen, ajoutant ainsi à l'intensité du choix à faire.
Le geste de la main de Jésus, invitant à le suivre, symbolise l’appel à la vie de disciple et le défi de l’engagement spirituel. En réponse, l’expression douloureuse de l’homme représente la difficulté de donner la priorité à la richesse spirituelle plutôt qu’à la richesse matérielle. La composition souligne le moment de la décision et le défi de suivre les exigences radicales du Christ.
L’évangile de ce matin est un rappel de la sagesse divine et du défi que représente l’engagement spirituel. La représentation de cet événement que nous offre Hofmann capture avec profondeur l’interaction du Christ avec ce jeune homme qui cherche à aller plus loin dans sa vie spirituelle. Grâce à sa composition dynamique, à son utilisation expressive de la lumière et à sa profonde profondeur émotionnelle, Hoffman relaie l’invitation de Jésus: à travers le don de soi, le renoncement et le détachement, ne rien laisser dans sa vie faire obstacle à la liberté intérieure que procure la vie éternelle déjà semée en nos cœurs au baptême.
Bon dimanche!
Claude Pigeon