«Heureux...» (Lc 6, 17.20-26)
Le texte des béatitudes nous offre une série de bénédictions prononcées par Jésus qui veulent apporter consolation et réconfort à ceux et celles qui souffrent, que ce soit physiquement ou spirituellement. «Heureux les pauvres, ceux qui ont faim, ceux qui pleurent, ceux qui sont persécutés à cause de leur foi en Jésus…» Ce message constitue aussi un véritable appel à tous pour plus de justice et de paix dans le monde. Mahatma Gandhi disait que c’est ce texte qui l’a le plus rapproché de Jésus et de son message. Il y reconnaissait ses convictions et les racines de sa lutte non violente.
Nous possédons deux versions de ce discours de Jésus. Matthieu rapporte huit bénédictions, prononcées sur le sommet d’une montagne, en lien avec le Jugement dernier. Quant à Luc, que nous lisons ce matin, il situe l’événement sur la Plaine. Il rapporte quatre bénédictions, chacune rattachée à une malédiction. Cette forme littéraire peut nous surprendre, mais ce procédé est souvent utilisé dans la Bible. L’auteur veut alors rappeler que l’être humain doit sans cesse faire des choix et prendre des décisions. Il se retrouve alors confronté à deux chemins : l’un qui conduit à la vie et un autre qui mène à la mort. La Bible propose un chemin de lumière face à un chemin de ténèbres. En d'autres termes, serons-nous un arbre qui porte des fruits ou un arbre qui se dessèche et devient inutile? Dans la réalité, nos choix sont rarement aussi simples. Rien n’est jamais complètement blanc ou noir. Il n’y a qu’une variété de gris. En revanche, nos choix et nos décisions entraînent toujours des conséquences, pour soi et pour les autres. Ils doivent donc être éclairés. C’est le rôle de notre conscience, et de l’Esprit saint qui habite en nous.
Avec les béatitudes Jésus propose également un nouveau modèle de relations: nous sommes solidaires les uns avec les autres et Dieu offre son soutien à tous et à toutes. En adressant des situations de vie comme la pauvreté, la faim, la tristesse et la persécution, Jésus nous interpelle. Ceux et celles qui souffrent aujourd’hui peuvent être réconfortés, car leur situation n’est pas irréversible. Leur vie peut changer dès maintenant, par l’action de leurs frères et de leurs sœurs qui accueillent le message des béatitudes comme un appel à la justice sociale, à la compassion et à la paix. Et si nous manquons à nos responsabilités, il y a encore la promesse que Dieu lui-même leur apportera la consolation dans le monde à venir, après que nous aurons rendu compte de nos manques d'amour.
Illustration: «Les Ambassadeurs». Huile sur bois par Hans Holbein (1533), National Gallery de Londres.
L’œuvre de Hans Holbein que je vous propose de découvrir ici est bien connue pour sa représentation de la richesse et du pouvoir. Pourtant, le tableau incorpore un élément caché et troublant, rappelant la fragilité de la vie et les choix qui mènent à la vie ou à la mort. Nous sommes au cœur du message des béatitudes : un appel au renversement des valeurs et à baser ses choix de vie sur l’amour, la justice, le respect, la solidarité, le partage, la compassion, la paix, bref sur l’évangile transmis par Jésus de Nazareth.
«Les Ambassadeurs» représente Jean de Dinteville, ambassadeur de France en Angleterre de février à novembre 1533, et son ami Georges de Selve, évêque de Lavaur et diplomate, qui fut lui aussi occasionnellement ambassadeur. Jean de Dinteville, à gauche, est richement habillé d'un manteau orné de fourrure. Il porte une épée au côté gauche et, dans sa main droite, une dague dans un fourreau où est inscrit son âge, vingt-neuf ans. Sur son béret est accrochée une broche comportant la représentation d'un crâne. Le noir de ses vêtements tranche avec la soie rouge de sa chemise à crevés qui lui couvre les bras et la poitrine, où pend à une chaîne dorée une médaille représentant un ange. Quant à Georges de Selve, à droite, il est vêtu d'un long manteau d'apparence beaucoup plus sobre, noir et brun, mais richement doublé de fourrure. Il porte le bonnet carré noir et le col blanc de l’ecclésiastique, et tient dans sa main droite une paire de gants.
Les deux hommes, qui nous regardent, sont accoudés de part et d'autre d'un meuble comportant deux étagères, occupant le centre du tableau. Sur l'étagère supérieure du meuble, on trouve des instruments scientifiques comme un globe céleste, un cadran solaire, un astrolabe et un quadrant, représentant les connaissances astronomiques et géographiques de l'époque. L'étagère inférieure présente des objets liés aux arts et aux sciences humaines, tels qu'un globe terrestre, un livre de mathématiques, une lyre et un luth cassé, symbolisant l'harmonie musicale perturbée. C’est la somme des connaissances, du savoir, de l’avoir et du pouvoir qui occupe le centre de l'œuvre et les deux personnages servent de faire-valoir. Comme si l'artiste disait: "qu'allez-vous faire de tout cela, maintenant que vous les possédez"?
Nous arrivons donc à l'un des aspects les plus remarquables du tableau: l'image déformée en bas de la composition. Cette technique est appelée anamorphose. Lorsqu'on la regarde sous un certain angle, cette forme étrange se révèle être un crâne humain, symbole de la mortalité et de la vanité de la vie humaine. Cette inclusion souligne la fragilité de la vie et rappelle que tous sont égaux devant la mort. En plus de démontrer les compétences artistiques et techniques de Holbein, à travers la multiplication de détails minutieux et des symboles donnant accès à la richesse et au pouvoir des deux personnages, l’œuvre invite également à une réflexion profonde sur la condition humaine et les dualités de la vie, telles que la richesse et la pauvreté, la vie et la mort, la connaissance et l'ignorance, le pouvoir ou l'impuissance. L’emploi de l’anamorphose, l’image cachée, ici un crâne humain, souligne que tous ne réussissent pas à découvrir ce sens caché de la vie et de la destinée humaine.
Les béatitudes ne disent pas qu'il vaut mieux être pauvre ou riche. Elles nous invitent à être LIBRES! Que fait le riche avec sa richesse et comment le fait-il? Comment le pauvre ressent-il et vit-il dans sa pauvreté? Les riches dont on parle et que l’on aime sont ceux qui ont leur cœur libre et gardent leur simplicité et savent se montrer généreux. Les pauvres que l’on regarde avec envie, et qui sont souvent les plus grands témoins de la foi, sont ceux qui sourient, savent apprécier les choses simples et vraies de la vie et ils sont aussi toujours capables d’ajouter un couvert à leur table pour un ami qui arrive à l’improviste. Là où est ton cœur, là est ton trésor, a dit très justement Jésus…
Bon jubilé de l’espérance, vécu de dimanche en dimanche!
Claude Pigeon, prêtre