«Celui qui fait la volonté de Dieu, celui-là est pour moi un frère, une sœur, une mère.» (Mc 3, 20-25)
Jésus ne rejette pas sa famille humaine. Mais conscient de l’urgence de sa mission, c’est l’accueil de son message qui compte désormais pour lui. Il ne cherche pas à être rude avec sa parenté, il clarifie simplement ses nouvelles priorités. La présence fidèle et amoureuse de sa mère tout au long de sa vie, et cela jusqu’au pied de la croix, le montre bien. Marie demeure sa mère par les liens du sang, mais doublement encore parce qu’elle devient disciple de son fils et cherche à faire la volonté de Dieu.
Dorénavant, Jésus identifiera comme sa famille ceux et celles qui accueillent la bonne nouvelle qu’il prêche et qui cherchent à la mettre en pratique. Et puisque son évangile s’adresse à tous et à toutes, chacun(e) de nous détient cette possibilité de devenir un membre de sa famille, soit son frère, sa sœur, ou sa mère.
Il vaut la peine de noter que Jésus ajoute aussi qu’on peut devenir « sa sœur ». L’inclusion linguistique n’existe pas à l’époque et cette précision appartient à la puissance de l’évangile. Jésus insiste pour inclure les femmes qui étaient si négligées dans la société d’alors. Il se reconnaît fils et frère de tous ceux et celles qui le suivent et cherchent à l’imiter. Jésus ignore les dictats d’exclusion de la société ou des bien-pensants. Les scribes lui ont d’ailleurs reproché cet accueil inconditionnel des marginaux: pauvres, pécheurs, étrangers, prostituées, femmes et enfants, etc.
Force est de constater qu'à la suite des scribes et des pharisiens la tentation a continué d’exister à toutes les époques chez les responsables de l’Église: pas assez croyants, pas assez pratiquants, pas assez comme nous, pas assez purs ou trop différents, etc. Pourtant, il suffit de posséder le souffle de la vie et d’être humain pour avoir accès à la possibilité d’être greffé au Christ, comme un membre de sa famille, de manière encore plus forte que par les liens du sang. Car c’est une adhésion du cœur fondée sur un accueil et une réponse positive qui nous donne accès au Père de Jésus qui est aussi Notre Père… Le péché contre l’Esprit, dont Jésus parle dans l’évangile de ce matin, c’est peut-être d’empêcher les petits, les sans-voix, les exclus de toutes sortes d’avoir accès à la découverte de cet accueil inconditionnel…
Illustration : «Le déjeuner des canotiers» par Auguste Renoir (1881). Huile sur toile. Collection Phillips à Washington.
L’œuvre que j’avais envie de partager avec vous aujourd'hui constitue un monument de l’impressionnisme français, que l’on doit à Auguste Renoir. S’y dégage un air de guinguette et de bal musette porté par un rassemblement amical rayonnant d'insouciance. L’image colle bien à l’idée que l’on se fait des jours de congé à Paris au début du siècle, et encore aujourd’hui. Renoir peint ce tableau lors de ses nombreux séjours à la Maison-Fournaise, aujourd’hui devenue Musée-Fournaise, sans même savoir s’il aura assez d’argent pour le terminer. Il s’agit d’une scène de la vie quotidienne qui ne repose ni sur une anecdote ni sur un contexte historique et qui n’aborde aucune question existentielle. L’artiste met simplement en scène ses amis et ses proches.
"Le déjeuner des canotiers" est peint entre 1880 et 1881, soit dix ans après la guerre franco-prussienne qui a provoqué la chute de Napoléon III et la proclamation de la IIIe République. Les années de grande pauvreté, de maladie et de dépression sont maintenant derrières et les Français réapprennent à célébrer. La semaine de travail a été réduite et les ouvriers d’usine, les porteurs, les vendeurs du marché, les bouchers, les barbiers ont plus de temps libre à leur disposition. Ils bénéficient même de temps pour danser et chanter. Paris est alors traversée d’une vague d’excitation créative et d’optimisme, la vie semble plus facile et légère. C’est l’effervescence des cafés, des concerts, des cabarets, des clubs nautiques à la mode, des théâtres, des restaurants, des salons de mode, des cirques, etc. Jusque-là, la seule activité pour les pauvres était un ballon, et pour les riches l’équitation, mais soudainement le canot et la voile devient un divertissement à la mode.
Le restaurant de la famille Fournaise, situé en banlieue parisienne, était tout-en-un: un hôtel et un club nautique, en plus de constituer un lieu de rencontre pour les jeunes artistes et écrivains. En été, Renoir y prenait pension et invitait des amis à dîner lors de leur jour de congé afin qu’ils puissent poser pour lui. Dans «Le déjeuner des canotiers», on compte quatorze personnes, cinq femmes et neuf hommes, qui ont presque tous été identifiés grâce aux recherches des spécialistes. Ce détail ajoute au réalisme.
En arrière-plan, au travers des saules miroite la Seine sur laquelle passent des voiliers. L'ambiance est heureuse et sereine. On y retrouve les jeux d’ombres et de lumière dans les tons de bleu, puis les visages féminins typiques de Renoir. Cette peinture est composée avec un étonnant contraste entre le fond et les personnages dans des tons pastel mais vifs assez fondus; puis, avec les quelques objets et plats très contrastés sur la table avec des fruits aux couleurs très vives aux traits puissants et relativement purs; enfin, avec de gros empâtements de blanc pur pour les reflets.
En ce dimanche, Jésus parle de sa vraie famille: ceux et celles qui font la volonté de son Père. "Le déjeuner des canotiers" évoque ces liens profonds qui créent la proximité : l’amitié, l’amour, la confiance en l'autre et le bien-être de vivre ensemble. Ceux-ci sont souvent plus forts et durables que ceux du sang et de la famille, sans pour autant les dénigrer. L’œuvre met en scène la famille que l'artiste s’est choisie et avec laquelle il fait bon partager les joies, les peines, les fêtes, les corvées, la compagnie de la table, les moments complexes ou encore la simplicité de la vie. N’est-ce pas ce que devrait être l’Église, comme famille, où chacun se voit accordé le titre de frère, de sœur ou mère du Seigneur, par pure gratuité de sa part et, de notre côté, par simple engagement à le suivre?
Bon dimanche!
Claude Pigeon